retour à la table des matièresà l’index alphabétiqueau dossier Voyelles

le dire
Apprendre

Up: Billets Previous: Elle finit par acheter un pyjama (no 5, 01-1980, p. 38-39) Next: étranger —Tito, Franco et compagnie (no 7, 03-1980, p. 70)

Un matin de vacances, petit déjeuner dehors, les uns et les autres arrivent, plus ou moins éveillés, plus ou moins habillés les bébés dans les bras, les bambins à la main, le café, les pistolets. On se sert, on tartine, vêtements d’été, bonheur… voulu anxiété latente.

L’enfant de cinq ans :

— Re(g)ardez comme je roule sur mon nouveau vélo !

On regarde vaguement, on continue à beurrer, à parler.

Lui essaie de monter, le guidon tourne, il tombe.

— Quand tu aurais fait ça 100 fois, tu sauras, dit un adulte.

Il recommence, retombe sans se faire mal, ne dit rien, recommence.

La femme plus âgée observe la scène.

— Regarde comme je vais bien en vélo, lui dit-il. Il trébuche.

Elle se lève, va vers lui :

— Viens où c’est plus plat.

— Tu vas me tenir, dit-il.

— Non, je ne vais pas te tenir puisque tu sais rouler.

— Tu vas me tenir pour partir.

— Tu devrais placer ta pédale tout en haut avant de t’élancer.

— Je sais, dit-il, mais ce n’est pas nécessaire.

Peut-être, se demanda-t-elle, les parents trouvent-ils qu’il ne faut pas leur donner ce besoin : la pédale en haut ? Peut-être faut-il savoir démarrer à partir de toutes les positions ? Peut-être, c’est vieux jeu ce que je veux lui apprendre ? Elle regarde vers les parents, ils ne font pas attention. Alors elle reprend plus sûre d’elle :

— Mets quand même ta pédale au-dessus pour avoir plus de force. Et puis ne t’assieds pas à l’avance, pars debout et de toutes tes forces.

L’enfant fait ce qu’elle dit, il sent que c’est bénéfique, il recommence, il s’élance de plus en plus droit, il ne tombe plus, il passe devant les parents :

— Re(g)ardez comme je sais bien rouler en vélo !

— Oui, disent-ils sans lever les yeux, quand tu l’auras fait 100 fois…

Car évidemment, après trois coups de pédale un obstacle l’a fait chavirer.

Curieux, se dit la femme dans la cinquantaine. Curieux que ces jeunes adultes trouvent maintenant que le bon usage du sexe, ça doit s’apprendre même à l’école et dans des livres avec dessins, par des films didactiques à la TV. Parce que eux, disent-ils, on ne leur a pas appris et alors quel grabuge ! Un tas de maladresses, pas beaucoup d’orgasmes, etc. Vous connaissez le disque…

Mais rouler à vélo, conduire une voiture… que les enfants apprennent cela par eux-mêmes ! Qu’ils fassent leurs expériences ! disent les parents. Curieux. Parce qu’enfin, le sexe, ce n’est pas une conquête humaine, ma chatte fait ça très bien, elle a des râles que parfois je lui envie… tandis que le vélo, c’est quand même une mécanique ! Je ne vois pas pourquoi on devrait savoir rouler à bicyclette d’instinct, tandis que pour le sexe il faut des leçons…

Curieux.

Marie Denis

Up: Billets Previous: Elle finit par acheter un pyjama (no 5, 01-1980, p. 38-39) Next: étranger —Tito, Franco et compagnie (no 7, 03-1980, p. 70)