Dominique Meeùs
Dernière modification le
Bibliographie :
table des matières,
index des notions —
Retour à la page personnelle
Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
C’est sûrement un livre prodigieusement intéressant, mais Frank Wilczek, quand il ne s’agit pas de physique, se laisse aller parfois à la facilité. Ça m’énerve et je le critique durement. Comme il s’agit de passages au début du livre et que je critique dans l’ordre des pages, ma recension commence très négativement. Ce début un peu grinçant ne reflète pas mon jugement d’ensemble du livre.
Many of my scientific heroes — Galileo Galilei, Johannes Kepler, Isaac Newton, Michael Faraday, James Clerk Maxwell — were devout Christians. (In this they were representative of their times and surroundings.) They thought that they could approach and honor God by studying His work. Einstein, though he was not religious in a conventional sense, had a similar attitude. He often referred to God (or “the Old One”), as he did in one of his most famous quotations: “Subtle is the lord, but malicious he is not.”
The spirit of their enterprise, and mine here, transcends specific dogmas, whether religious or antireligious. I like to state it this way: In studying how the world works, we are studying how God works, and thereby /earning what God is. In that spirit, we can interpret the search for knowledge as a form of worship, and our discoveries as revelations.
Non seulement Einstein n’était pas « religious in a conventional sense », mais il est tout à fait possible qu’il ne l’était pas du tout. Quand il dit « Dieu ne joue pas aux dés », on ne peut exclure qu’il emprunte simplement le langage de son temps. Je trouve que Frank Wilczek va trop loin en supposant qu’Einstein était au fond plus religieux qu’il ne voulait bien l'admettre. Pour le reste, il veut « transcender » les divergences d’opinion, mais il décide pour « nous » (« we are studying how God works », « we can interpret… as a form of worship, and… as revelations ») d’adopter un point de vue religieux. Qu’il parle pour lui même et me laisse le droit de n’en penser pas moins.
Still, throughout most of human history, prior to the emergence of the scientific method, the development of technologies was haphazard. Successful techniques were discovered more or less by accident. Once stumbled upon, they were transmitted in the form of very specific procedures, rituals, and traditions. They did not form a logical system, nor was there a systematic effort to improve them.
Technologies based on “rules of thumb” allowed people to survive, reproduce, and, often, to enjoy some leisure and achieve satisfying lives. For most people, in most cultures, over most of history, that was enough. People had no way to know what they were missing, or that what they were missing might be important to them.
Un physicien, compétent en physique, bien placé pour nous dire sur la physique des choses qu’il connaît, a bien le droit de se faire aussi des réflexions sur la société ou sur l’histoire des sciences et de les écrire. Mais ceci est plus que caricatural, c’est évidemment faux et je ne comprends pas qu’il ne le réalise pas. Supposons qu’une femme ou un homme lâchant une pierre au-dessus d’une autre voit surgir un éclat coupant. C’est « par hasard », « plus ou moins par accident ». Mais dès cet instant, elle réessaie, elle en parle aux autres, plusieurs essaient. On a ainsi des millions d’années de curiosité, de recherche technique systématique, rationnelle, pas seulement de tradition figée dans des « rites ». Je signale au physicien que si, parmi ces tailleurs de pierre de trois millions d’années, on se limite au beaucoup plus récent animal Homo sapiens, on est, pendant trois cent millions d’années, devant le même animal, avec les mêmes gènes, les mêmes neurones et les mêmes capacités intellectuelles que Galilée, Kepler, Newton, Faraday ou Maxwell. Bien sûr, le cerveau produit plus et mieux lorsqu’il peut s’appuyer sur un héritage culturel plus riche. En outre, l’exercice de la science (au sens moderne) éduque le cerveau à travailler encore mieux et le développement de la bourgeoisie a constitué une motivation forte à avancer. La technique devient plus féconde lorsque la science apparaît et que la technique peut s’appuyer dessus, mais toutes les techniques anciennes expriment une recherche systématique qui n’a pas attendu la science. La Chine est un parfait contre-exemple de la conception de l’histoire de Frank Wilczek. Avant le vingtième siècle, la Chine n’a pas vraiment produit de science. Elle n’a jamais eu ses Galilée, Kepler, Newton, Faraday ou Maxwell. Cela ne l’a pas empêchée de produire des techniques beaucoup plus précoces et plus avancées que dans le reste du monde. Ce n’était pas juste au petit bonheur la chance, en butant dessus par hasard. C’était en déployant des trésors d’intelligence, de manière systématique et pour répondre à des besoins (et dans le cadre d’une organisation sociale spécifique).
En outre, il est faux de dire que les gens s’en foutaient un peu, du moment qu’ils mangeaient à leur faim qu’il leur restait un peu de loisir. Bien sûr Aristote ne savait pas ce qu’il ratait en ne connaissant pas la relativité générale d’Einstein et en n’ayant donc pas de GPS sur son smartphone — et il est trivial de dire qu’il ne pouvait pas le savoir ni donc le désirer. Mais plein d’êtres humains, avant et après Aristote, ont cherché volontairement, consciemment, systématiquement à améliorer des techniques et à comprendre le monde avant même de savoir ce que science voulait dire.
Ces réserves étant faites sur l’histoire de la technique, je suis bien d’accord avec Frank Wilczek que la science est un des tournants les plus importants de la longue vie de l’humanité et que ça a permis à la technique de faire d’énormes progrès, plus rapides, inconcevables sans la science.
Il illustre ce progrès technique (que nos ancêtres ne pouvaient concevoir ni donc désirer) par l’augmentation de productivité. Il illustre alors l’augmentation de productivité par l’augmentation du produit intérieur brut en dollars. Mais il n’y a pas beaucoup de centaines de millions d’années que les gens se nourrissent de billets verts. Ce qui aurait un sens, c’est de se demander combien d’heures par jour les gens consacraient à leurs besoins pour vivre et combien il leur restait de loisir. Mais pour les chasseurs collecteurs pendant ces centaines de millions d’années, on en saura toujours trop peu. On ne peut que spéculer à partir de ce qu’on sait de chasseurs collecteurs plus près de nous. Ce qui aurait un sens aussi, c’est de rechercher, à partir de l’introduction de l’agriculture, combien une femme ou un homme pouvait produire de grain (par exemple) en un an. Là, ça devient plus concret et on pourrait avoir des réponses approchées pour la période historique. Une chose est certaine, une personne produit infiniment plus de grain aujourd’hui qu’au moyen âge. L’étude de l’évolution de la productivité en grain serait plus intéressante, mais la conclusion ne serait pas qualitativement différente qu’en dollars. (L’évolution du rapport entre travail et loisir est peut-être moins positive.)