Dominique Meeùs
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Frédérique Vinteuil, « Marxisme et féminisme », 1983

Frédérique Vinteuil , Marxisme et féminisme, Critique communiste, hors série « Spécial Marx », 1983.
En www.sudoc.fr/199489041, renseigne l’article en tiré à part de ce numéro de 1983, donné correctement comme « spécial Marx », mais associé là par erreur à la Critique communiste, « journal de la Cellule Politzer du Parti communiste français, Fédération de Paris ; Paris : Cellule Politzer, 1973 ». Le catalogue Sudoc, qui prétend ne donner d’information que d’autres catalogues, renvoie à la Médiathèque du musée du Quai Branly… où on ne retrouve pas l’erreur de Sudoc. (Aussi Wordcat 976430318.) Il s’agit en réalité de la Critique Communiste de la LCR (à mille lieues du PCF) qui fait suite à la revue Marx ou Crève fondée en 1975.
Repris, sans date (autre que 1983), en https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article7150.

Je ne retrouve pas en ligne la Critique Communiste de 1983 elle-même. J’ai cherché cet article après l’avoir rencontré d’abord en traduction anglaise publiée en 20101.

Le renouveau du féminisme, dans les années soixante-dix, illustre un paradoxe : produit d’une génération militante imprégnée de marxisme, en Europe du moins, il a contribué à alimenter des courants prônant soit le rejet pur et simple de Marx, soit le « dépassement » du marxisme par une méthodologie réputée plus adaptée au nouvel objet à penser.

Début de l’alinéa introductif de l’article.

Il est vrai qu’on peut parler d’une « génération militante imprégnée de marxisme » en Europe au sens que le marxisme est très à la mode, en France surtout (Althusser et autres…). Il y a un autre paradoxe cependant, que peut-être Frédérique Vinteuil n’a pas aperçu, dans la mesure où il y a en France une certaine ignorance de ce qui se publie en anglais. Cet autre paradoxe, c’est que, malgré le marxisme à la mode, le féminisme marxiste en langue française est d’une insigne pauvreté, tandis qu’est née dans la seconde moitié des années soixante aux États-Unis et au Canada une abondante littérature féministe, dont une bonne partie est marxiste. Des États-Unis, Frédérique Vinteuil ne mentionne, bien plus loin dans l’article, que Betty Friedan comme représentante d’un « néo-féminisme américain ». Il y a là de fait dans la première moitié des années soixante un courant féministe bourgeois. Mais « le renouveau du féminisme dans les années soixante-dix », c’est l’écho en Europe de la seconde vague du féminisme née en Amérique du Nord dans la seconde moitié des années soixante et dont Frédérique Vinteuil ne dit rien.

Alors que parfois, dans la littérature marxiste, on trouve une adhésion dogmatique à L’Origine de la famille… d’Engels, elle en souligne justement les limites. Le rêve de la communauté primitive est réfuté par la connaissance de sociétés sans classes, mais très violentes à l’égard des femmes. Des sociétés peuvent être matrilinéaires, mais patrilocales et sous l’autorité des hommes.

Dès lors, nous soutenons que les sociétés préclassistes connues, presque toutes patrilocales, matrilinéaires ou patrilinéaires, fonctionnent sur la base de l’appropriation collective par les hommes de la force de travail des femmes. Cette situation peut se constater dans les sociétés primitives actuelles ; elle peut s’induire de l’étude des formations sociales archaïques où domine l’esclavage féminin et où l’adéquation idéologique Féminité/Esclavage est une constante.

Elle conteste l’affirmation d’Engels que « la grande défaite historique du sexe féminin » les aurait reléguées au foyer. Engels :

Même à la maison, ce fut l’homme qui prit en main le gouvernail ; la femme fut dégradée, asservie, elle devint esclave du plaisir de l’homme et simple instrument de reproduction.

Engels, L’Origine de la famille….

[Dans la famille monogamique,] la femme devint une première servante, elle fut écartée de la participation à la production sociale. C’est seulement la grande industrie de nos jours qui a rouvert — et seulement à la femme prolétaire — la voie de la production sociale.

Idem.

À cela, Frédérique Vinteuil objecte que dans une famille paysanne au moyen âge, la femme, à côté des travaux ménagers, participe à la production sociale.

La division sexuelle du travail y était absolue et immuable. Mais elle ne recoupe pas l’opposition travail productif/reproductif. Les femmes font certains travaux agricoles, les plus pénibles, les hommes font le reste : tous produisent. Les femmes filent, activité aussi productive (il arrive que la laine filée soit commercialisée) que les travaux des champs destinés en grande partie à une consommation autarcique. Les tâches domestiques ? Elles étaient des plus réduites en raison des conditions d’habitat et de nutrition, et affectées le plus souvent à une aïeule ou aux jeunes enfants. Cette thèse est irrecevable, parce qu’aucune formation sociale connue dans l’histoire n’a pu se passer de l’utilisation massive de la force de travail des femmes pour la production.

Seule une étude précise sur une société donnée à une époque donnée peut permettre de déterminer les rôles respectifs de la force de travail masculine et féminine, rôles très variables au demeurant. Mais, soutenir que toutes les femmes ont été exclues de la production relève de l’idéologie patriarcale qui pose le travail des femmes comme du non-travail. Improductives, les esclaves des grandes monarchies asiatiques ou de Mycènes quand elles sont ouvrières du textile, ou qu’elles cultivent les grands domaines des rois et des temples ? Improductives, les paysannes médiévales ? Ce qui caractérise, au contraire, l’utilisation de la force de travail féminine, c’est la combinaison des travaux productifs les plus dévalorisés avec des tâches de reproduction, les uns étant souvent présentés comme l’extension des autres.

Dans le cas de la paysanne, la frontière entre production sociale et travail ménager est floue. Elle devient tout à fait nette sous le capitalisme, l’usine d’un côté, le domicile de l’autre. (Attention, seule la netteté de la frontière est nouvelle, pas le travail ménager : « dans les sociétés non capitalistes, les tâches dites de reproduction étaient aussi assumées au sein de la famille par les femmes ».)

Il reste que la frontière entre ce qui est ménager et ce qui est production sociale est mouvante. On peut socialiser plus ou moins la reproduction sociale. « Tant que le système n’est pas en mesure de les transformer en produits pour le marché, les tâches domestiques réalisées dans le cadre privé réalisent une énorme économie de capital. » Souvent, dans la Social Reproduction [soi-disant] Theory, on ne voit que la deuxième moitié de cette phrase conditionnelle. On lit souvent des auteurs, qui se veulent marxistes, mais qui considèrent le travail ménager comme une détermination essentielle du capitalisme. Pour Frédérique Venteuil, « l’assomption privée du travail ménager n’est pas structurellement indispensable au fonctionnement du système, mais une nécessité sur une longue période ». La longue période, c’est le « Tant que… » qu’elle a écrit plus haut. C’est temporairement que « le capitalisme du premier âge n’était pas en mesure de socialiser une grande partie des tâches domestiques ». Le développement du capitalisme n’exclut pas que plus de services domestiques soient marchandisés et que les travailleurs puissent les payer, ce qui ne coûte pas au capital, mais rapporte.

On peut même dire que le capitalisme socialise tendanciellement toujours davantage de travaux réalisés jadis dans un cadre privé. Dès la première révolution industrielle on commence à voir disparaître, en ville, la production familiale des aliments de base (pain, légumes, viande) ; les vêtements deviennent progressivement des objets achetables sur le marché… Quant au troisième âge du capitalisme, il illustre la faculté du système d’étendre à de larges secteurs de la reproduction le règne de la marchandise (fulgurante progression du marché du prêt-à-porter, plats préparés, laverie).

Elle est aussi des rares auteurs marxistes qui voient que le travail ménager est payé, ce qu’elle exprime maladroitement : « Volontiers décrites comme gratuites, les tâches domestiques ne le sont pas totalement. Le travailleur masculin reçoit, dans son salaire, de quoi faire vivre (ou survivre) sa famille, et donc d’une certaine manière rétribuer le travail menacer [ménager ?] de l’épouse. » Ce qui compte en théorie, c’est que — salaire de travailleur, de travailleuse ou des deux —, la valeur de la force de travail couvre la reproduction du prolétariat. Bien sûr, on peut distinguer des salaires « de chef de famille » des hommes et des salaires « d’appoint » des femmes, mais ça n’a rien à voir ici. Au moins, elle est de ceux qui dépassent la conception d’un travail « non payé », mais « indispensable ».

Notes
1.
Je l’ai vu aussi repris à la même époque (PDF de 2010) dans Cahiers de formation marxiste no 9 de la Formation Léon Lesoil (LCR, Belgique), sans date [2010]. , Ce « Cahier » de la LCR belge réussit l’exploit de masculiniser en Frédéric le nom de l’autrice. C’est le même texte que celui d’europe-solidaire.org, avec les mêmes erreurs (autres que le prénom).