Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
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Daniel Steinmetz-Jenkins interviewe Vivek Chibber sur son nouveau livre The Class Matrix: Social Theory After the Cultural Turn (Chibber 2022).
… the working class, far from being the gravediggers of capitalism, as Marx predicted, instead proved comfortable with the economic status quo.
… la classe ouvrière, loin d’être le fossoyeur du capitalisme, comme l’avait prédit Marx, s’est au contraire accommodée du statu quo économique.
… de werkende klasse, in plaats van de doodgraver van het kapitalisme te worden zoals Marx had voorspeld, die economische status quo best comfortabel vond.
Jusque là, Vivek Chibber serait d’accord («… he is sympathetic to certain aspects…»). Cela veut dire que Chibber et les intellectuels du « tournant culturel » avec qui il est en débat ne connaissent la classe ouvrière que de loin. Peut-être dans le cinéma hollywoodien, où la classe ouvrière est embourgeoisée. Serait-ce propre aux États-Unis? Sur le même pays, Howard Zinn voit de la violence partout toujours.
Une interview est un article d’un genre particulier et on peut admettre qu’une conversation n’ait pas de notes de bas de page, mais on reste sur sa faim quand on lit à chaque alinéa ou presque que « les marxistes », de manière intemporelle, ont affirmé ceci, ont eu raison sur cela, mais se sont trompés sur autre chose. De qui s’agit-il ? De Karl Marx ? de Friedrich Engels ? de Lénine ? de la sociale-démocratie ? de l’École de Francfort ? Où ont-ils écrit ça et quand ?
Mais je réfléchis que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Tout ça est détaillé dans le livre de Vivek Chibber, dans de nombreuses notes, je suppose. L’ennui, c’est que la fumisterie qui se fait jour dans cette interview ne me donne pas envie de payer le livre (même si peut-être on y trouve aussi bien des choses intéressantes).
But by the 1950s, it was clear that the prediction had not been borne out.
Dans les années 1950, force était de constater que cette prédiction ne s’était pas concrétisée.
Tegen de jaren 50 echter was het duidelijk dat die voorspelling niet was uitgekomen.
Les intellectuels se prennent à douter. C’est qu’ils n’ont pas compris :
But these doubts rested on a profound error — that, if Marx’s description of the class structure is right, then it should be driving workers to build organizations for class struggle.
My argument is that Marx’s description was in fact correct, but the postwar theorists drew the wrong conclusions from it. They misunderstood its impact on workers’ political strategy. It is true that their location in the structure, their experience of exploitation, inclines workers to resist. But it does not follow that this resistance will be collective. The normal response of workers will be to resist individually and to eschew collective action.
[…]
Now, this is not because of the power of ideology. It’s a rational response to their structural situation. So it means that the very class structure that generates class antagonism also inclines workers to resist their bosses as individuals, not as a collective, organized force. And this is just another way of saying that the class structure inhibits class formation.
So the irony is, Marxists were correct in their description of the class structure, and they were also right that the structure was a determinant of class formation. But they were wrong in their assessment of how the structure determined the latter. They thought that it would generate class formation; my argument is that it actually inhibits class formation.
Mais ces doutes reposaient toutefois sur une erreur, l’idée que, si Marx avait correctement décrit la structure de classe, alors elle devait pousser les travailleurs à s’organiser en vue de la lutte des classes. Mon argument est que la description de Marx est effectivement correcte, mais que les théoriciens de l’après-guerre en ont tiré des conclusions erronées. Ils ont mal compris son impact sur la stratégie politique des travailleurs. Il est vrai que les travailleurs sont poussés à résister de par leur position dans la structure et leur vécu de l’exploitation. Cela ne veut pas dire que cette résistance sera collective pour autant. La réaction normale des travailleurs sera de résister individuellement et d’éviter l’action collective.
[…]
Ce n’est toutefois pas une conséquence du pouvoir de l’idéologie, mais une réaction rationnelle à leur situation structurelle. La structure de classe qui génère l’antagonisme de classe incite en même temps les travailleurs à résister à leurs employeurs, mais au niveau individuel et non en tant que collectif organisé. En d’autres termes, la structure de classe en soi inhibe le passage à la classe pour soi.
On se trouve donc face à un paradoxe : la description de la structure de classe faite par les marxistes était correcte. Ils avaient aussi raison de dire que cette structure jouait un rôle clé dans la formation de la classe pour soi. Ils se sont toutefois trompés quant à la manière dont elle le faisait. Ils pensaient que la structure même entraînerait la formation en classe pour soi. Je soutiens qu’au contraire, elle l’empêche.
Maar die twijfels berustten op een ernstige vergissing: als Marx’ beschrijving van de klassenstructuur juist is, zou die de werkers ertoe moeten aanzetten organisaties op te bouwen met het oog op de klassenstrijd.
Volgens mij was de beschrijving van Marx in feite juist maar hebben de naoorlogse theoretici er de verkeerde conclusies uit getrokken. Zij hebben de impact ervan op de politieke strategie van de werkers verkeerd begrepen. Het is waar dat hun plaats in de structuur en hun ervaring met uitbuiting de werkers aanzet tot rebellie. Maar daaruit volgt niet dat dit verzet collectief zal zijn. Doorgaans verzetten de werkers zich individueel en vermijden ze collectieve actie.
[…]
Dat heeft niets te maken met de macht van de ideologie. Het is een rationele reactie op hun structurele situatie. Het betekent dus dat de klassenstructuur die klassentegenstellingen genereert, tegelijk maakt dat de werkers zich verzetten tegen hun bazen als individu en niet als een collectieve, georganiseerde kracht. Anders gezegd: de klassenstructuur remt de klassenvorming af.
Het is dus ironisch dat de marxisten correct waren in hun beschrijving van de klassenstructuur en ook gelijk hadden dat de structuur bepalend was voor de klassenvorming, maar dat hun beoordeling van hoe de structuur dat laatste bepaalde, fout was. Zij dachten dat de structuur zou leiden tot klassenvorming; ik beweer dat ze in feite de klassenvorming afremt.
Mais dans la société, il n’y a pas que la structure en classes et l’exploitation, il y a la réalité du travail au coude à coude et la conscience que ce travail est collectif, qu’il est le produit de la force du collectif. Ensemble on est plus fort. Nous sommes forts dans la production parce que nous sommes ensemble. C’est une forme de conscience de classe. Cela induit, il me semble, une tendance à envisager la résistance collectivement aussi. Il doit forcément venir à l’esprit des travailleurs que leur position leur met en main une arme : arrêter le travail. (Ça ne veut pas dire que de là naît d’elle-même la conscience de la possibilité d’une autre société.) Les intellectuels n’ont pas cette expérience. Leur conscience de classe est différente. Cela leur permet d’émettre des hypothèses en l’air sur la conscience de classe des ouvriers.
Comme Vivek Chibber est aussi coupé de la réalité de la classe ouvrière que les tenants du « tournant culturel » qu’il critique, le titre que Lava donne à l’entrevue ne manque pas d’humour involontaire. (Je ne sais si Daniel Steinmetz-Jenkins a été consulté sur le titre qu’on a donné à ces versions de l’interview qu’il a réalisée.)
Le fossé entre les intellectuels et la classe ouvrière
De kloof tussen intellectuelen en de werkende klasse