Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Animal satisfy their sexual needs without any self-imposed restrictions. An adult male can gain access to any receptive female […]. Such uninhibited sexual intercourse does not prevail among humans. “No known people regard all women as possible mates,” observes Ruth Benedict (Patterns of Culture, p. 42). Restrictions upon sexual intercourse are therefore exclusively social and cultural.
C’est le premier alinéa du livre et ça commence mal. Evelyn Reed semble vouloir faire un travail scientifique, mais avance des opinions à l’emporte-pièce sur les animaux. Contrairement à ce qu’elle affirme, tous les animaux ont une organisation sociale de la sexualité, que ce soient les pigeons (qui s’aiment d’amour tendre), les abeilles, les chimpanzés et tutti quanti. Il y a un bagage phylogénétique qui règle qui baise avec qui, quand, selon quel rituel… « An adult male can gain access to any receptive female […] », c’est tout simplement absurde. Le livre s’ouvre donc sur une affirmation naïve, arbitraire, abusive, erronée. Je veux bien admettre que les animaux autres que l’homme n’ont pas de prévention éthique contre l’inceste, et encore moins médicale, mais des espèces peuvent très bien avoir une organisation exogamique de leur sexualité, ce qui est assez généralement le cas chez les primates et en particulier chez les grands singes, nos cousins. (Elle cite Ruth Benedict sur les êtres humains. Je ne sais si la thèse étonnante qui précède, sur les animaux, est partagée par Ruth Benedict.)
J’ai bien peur que tout le livre ne flotte entre science et opinion. Quelques autres passages du livre justifient ma crainte. Elle écrit en pleine deuxième vague du féminisme, à un moment ou différentes sciences progressent à grands pas, mais elle cite beaucoup d’ouvrages relativement anciens. Des références sont au magazine Scientific American. Ce n’est pas interdit, mais c’est de la science de seconde main ; cela témoigne de sa part un niveau assez bas d’exigence de rigueur. (Elle est une artiste et une intellectuelle cultivée, mais elle n’a aucune formation scientifique.)
Elle utilise (p. xiv) la terminologie de Morgan qui distingue les étapes de sauvagerie et de barbarie. La barbarie, c’est en gros du néolithique à une étape de civilisation plus proche de nous (jusqu’à l’apparition de la famille qui correspond à nos habitudes actuelles). La sauvagerie, c’est ce qui précède, donc quelque deux millions d’années. Et la terminologie et la périodisation ne sont pas mauvaises en soi. Bien sûr, personne n’est retourné aussi loin dans le temps, mais elle défend qu’on peut s’en faire une idée d’après les chasseurs récolteurs observés ce ou ces derniers siècles. C’est sans doute défendable s’agissant de la préhistoire de l’Homo sapiens. Mais elle discute de la civilisation « sauvage » comme quelque chose de bien unifié, le cheminement linéaire de l’acquisition de la culture par l’homme, ou plutôt par la femme. L’ennui, c’est qu’elle perd de vue qu’elle parle, dans ce ou ces millions d’années, de nombreuses espèces animales différentes disparues1. Toutes les espèces animales qui forment notre branche de l’arbre, après la séparation d’avec celle qui conduit aux autres grands singes actuels, pouvaient avoir une organisation sociale de la sexualité différente et donc construire leur culture sur des bases différentes. Ses considérations sur le tabou sont donc pratiquement sans valeur pour la plus grande partie de la période qu’elle décrit.
Elle conteste que l’interdit de l’inceste procède d’une préoccupation de diversité génétique. Elle considère que les sauvages ne pouvaient connaître les dangers de la consanguinité parce que leur connaissance des mécanismes de la reproduction était insuffisante pour observer une éventuelle héritabilité de qualités ou de déficiences. De toute manière, elle considère que le danger de la consanguinité est une légende urbaine ; elle en donne pour preuve que les éleveurs, pour obtenir les « races pures » les plus recherchées de chevaux ou de chiens, procèdent à beaucoup de reproductions consanguines. Si ça donne les plus beaux chevaux ou chiens, ce ne peut être, a fortiori, que bon pour l’homme et non dangereux.
Elle considère l’animal comme agressif, cruel, antisocial (p. 67) de nature. (Elle n’a sans doute jamais de sa vie rencontré une abeille ou une fourmi ; pire que cela, elle ignore jusqu’à leur existence ; jamais elle n’en a même entendu parler.) Pour se dégager de cette animalité, il y a un million d’années et plus, les premiers êtres humains ont inventé la culture.
Bien que trotskiste en vue, elle semble peu marxiste. Elle a une conception de la culture peu scientifique, assez idéaliste. Elle cite abondamment des auteurs très « culturels », qui semblent traiter la culture comme un domaine relativement autonome, qu’on peut étudier indépendamment du reste. (Que veut dire Evelyn Reed, d’ailleurs, par « exclusively social and cultural » à la fin de l’alinéa que je cite en commençant ?)
Je sais que ce n’est pas bien de juger un livre qu’on n’a pas lu, mais dans la vie, il faut faire des choix ; il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée. J’ai lu quelques passages, d’où je tire la saine décision de ne jamais lire le reste.