Dominique Meeùs
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Henri Pirenne, Histoire de Belgique I (5e ed.), 1929

Henri Pirenne, Histoire de Belgique I (5e ed.) : Des origines au commencement du XIVe siècle, Maurice Lamertin, Bruxelles, 1929, xvi + 472 pages.

Ceux des Francs qui se fixèrent au sud de la frontière linguistique, chez les Belgo-Romains, y trouvèrent un état de choses assez analogue à celui qu’ils connaissaient. Là aussi, à côté de petits propriétaires libres, le sol appartenait à de riches possesseurs de domaines dont relevait un peuple de colons et de censitaires plus ou moins étroitement attachés à la glèbe et soumis vis-à-vis de leurs seigneurs fonciers à ces redevances et à ces services en nature (corvées) qui avaient commencé à peser sur eux d’un poids de plus en plus lourd dès les derniers temps de l’Empire. Des différences existaient sans doute à côté de cette similitude. Selon toute apparence, les propriétaires libres étaient plus nombreux en pays germanique tandis que les esclaves avaient disparu en pays romain. Il s’établit d’ailleurs rapidement une sorte d’égalisation entre les conditions sociales. Le christianisme, à mesure qu’il se répandit chez les Francs, y transforma peu à peu l’esclavage en servage. D’autre part, l’ascendant de la richesse et de la puissance s’imposait de plus en plus aux hommes libres. Les paysans ruinés par une mauvaise récolte, les veuves à qui une protection était indispensable cédaient leurs terres aux puissants et entraient, à titre de tenanciers, dans leur clientèle. Les fonctionnaires royaux, les comtes, étant recrutés dans l’aristocratie, abusaient de leur pouvoir pour les mieux dépouiller. Bref, vers la fin de la période mérovingienne, la société avait déjà pris la physionomie qu’elle devait conserver durant de longs siècles : à un minorité de grands propriétaires libres correspondait une masse paysanne dont la condition générale était la servitude.

Livre premier, chap. 1, p. 32.

On a vu plus haut1 que les grands domaines de l’Artois, du Hainaut et du Namurois ne disparurent pas à l’époque des invasions germaniques et, qu’au cours de la période franque, leur nombre et leur importance ne cessèrent d’augmenter, grâce à l’action des causes sociales et économiques qui détruisaient partout la petite propriété et avec elle la liberté personnelle. Au début du Xe siècle, il ne devait guère rester en Belgique de paysans libres que dans les régions marécageuses de la Flandre maritime ainsi que dans les bruyères de la Campine et dans les « fagnes » de l’Ardenne2. Partout ailleurs, en dehors de ces régions ingrates et d’accès difficile, les pauperes liberi homines avaient cédé leurs manses aux dynastes laïques et aux monastères, ou avaient été soumis à l’avouerie d’un grand3. Ainsi, à côté du groupe primitif des serfs domestiques, descendant des esclaves romains ou germaniques, s’était constituée une classe infiniment nombreuse de demi-libres (censuales, homines ecclesiastici, laeten) comprenant presque tous les vilains. En face de ceux-ci, les hommes qui avaient pu conserver intacte leur liberté avec leur patrimoine, constituaient une aristocratie qui, dans le courant du XIe siècle, se transforma en noblesse héréditaire.

1.
Voy. p. 32.
2.
Il serait impossible de comprendre autrement la formation si hâtive et si vigoureuse des dynasties féodales.
3.
Les invasions normandes, si terribles dans les Pays-Bas, ont dû naturellement contribuer beaucoup à ce résultat. Seuls les grands propriétaires purent conserver la liberté. Voyez les Miracula S. Bertini. Mon. Germ. Hist. Seript., t. XV, p. 513 : « Nobilitas… ex multo jam tempore ob amorem vel dominatum sibi dominorum carorum abcesserat, nativitatis patria relicta, praeter paucos, qui ita hereditariis praediti erant patrimoniis, ut non esset eis necesse subdi, nisi sanctionibus publicis. » Au XIe siècle, les Gesta abbat. Trudonensium, éd. de Borman, t. 1, p. 6, considèrent que la situation normale du paysan est la servitude.
Livre premier, chap. 5, p. 143-144.