Dominique Meeùs
Dernière modification le   
Bibliographie : table des matières, index des notions — Retour à la page personnelle
Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,

Maxine Molyneux, « Beyond the Domestic Labour Debate », 1979

Maxine Molyneux , Beyond the Domestic Labour Debate, New Left Review, series. I, no. 116, 1979, p. 3-27.

Il y a en 1979 déjà une abondante littérature d’approche marxiste du travail ménager. (Elle-même, dans la première phrase de son article, p. 3, l’estime à cinquante articles publiés « in the British and American socialist press alone »1.) Il est curieux que Maxine Molyneux consacre son article à deux contributions très marginales au débat, Celle de Christine Delphy dans l’Ennemi principal et celle de John Harrison dans « The Political Economy of Housework » en 1973. Elle les a choisies peut-être parce que toutes deux introduisent un nouveau mode de production. Quoi qu’il en soit, les points qu’elle soulève dans sa critique de ces deux interventions particulières peuvent être d’un grand intérêt pour l’ensemble du débat du travail ménager.

Maxine Molyneux rappelle (p. 7-8) que dans les années 70, le marxisme était à la mode. Tout le monde avait à la bouche « relations de production », « mode de production », « force de travail », « valeur d’échange ». Le marxisme que Christine Delphy attaque en 1970, ce n’est pas le marxisme lui-même, mais un « marxisme vulgaire », simpliste, dans l’air du temps. Elle caricature le marxisme pour le combattre. Elle se dit non marxiste, mais use et abuse des mêmes expressions. Son « mode de production patriarcal », ce n’est qu’un « descriptive device » (p. 16), son inventaire de caractéristiques du travail ménager.

Maxine Molyneux fait aussi à Christine Delphy (plus haut page 7) l’objection classique que toutes les femmes ne sont pas épouses. En axant son approche sur le caractère oppressif du mariage, Christine Delphy laisse de côté d’autres formes d’oppression et la position des femmes sur le marché du travail. Elle est amenée à sa théorie du « mode de production patriarcal » par le travail qu’elle a fait sur la position de la femme dans l’agriculture et autres entreprises familiales, ce qui est une réalité très proprement française, en voie de disparition dans d’autres pays développés.

Une des déterminations du « mode de production patriarcal » de Christine Delphy (le (3), page 6), c’est la subordination contractuelle de l’épouse à son mari : « what they do with their labour and its products is subject to the will of their husbands ». De même que Maxine Molyneux a fait remarquer que ce « mode de production » a un caractère très français, on ne peut s’empêcher de remarquer quelques dizaines d’années plus tard que ça relève d’un état du droit bourgeois au moment ou Christine Delphy écrit, bien changé au 21e siècle.

Dans le mode de production ménager de John Harrison (p. 8), la femme ne produit pas directement la force de travail, mais des valeurs d’usage à cet effet. Maxine Molyneux conteste (p. 9) qu’un surtravail dans cet autre mode de production puisse devenir plus-value dans le mode de production capitaliste : le travail concret dans le ménage est étranger au travail abstrait du capitalisme. Il ne peut avoir une valeur dans le capitalisme, à moins de changer le concept de valeur. Je ne comprends pas l’objection. Je n’ai pas lu John Harrison, mais Maxine Molyneux rend correctement (p. 8) son argument : le travail ménager de la femme diminue le recours à des biens et services marchands et par là, diminue la valeur de la force de travail. John Harrison ne dit pas que ce « surtravail » ménager est en lui-même plus-value, mais que ce travail a pour effet d’abaisser la valeur de la force de travail. Or abaisser la valeur de la force de travail augmente bien la plus-value.

Reste bien sûr le problème de savoir si c’est bien le cas, en fait, que le travail ménager a pour effet de diminuer la valeur de la force de travail. C’est un point fondamental parce que c’est la thèse d’une bonne partie du débat sur le travail ménager (même si on n’en fait pas comme John Harrison un mode de production à part). Or différentes choses sont en balance. Moins de travail ménager supposerait (p. 9) un plus grand recours à des biens et services marchands, ce qui supposerait donc une valeur plus grande de la force de travail. Ainsi (« widely-held thesis ») le travail ménager « gratuit » abaisse la valeur de la force de travail. Mais, à l’inverse, pour ce travail ménager « gratuit », il faut bien que l’épouse mange. Le système de la femme au foyer comporte cet « hidden cost » (p. 12). En fin de compte, la relation entre travail ménager « gratuit » et valeur de la force de travail n’est pas univoque.

La valeur de la force de travail est une notion délicate.

Notes
1.
Sa phrase semble avoir inspiré Eva Kaluzynska, dans « Wiping the Floor with Theory : A Survey of Writings on Housework », Feminist Review, no. 6, 1980, pp. 27–54. En commençant son article, elle reprend presque textuellement la même expression : « in the British and United States socialist and feminist press alone »