Dominique Meeùs
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Arnaud Macé, « Dialectique générale et dialectique restreinte », 2017

Arnaud Macé , Dialectique générale et dialectique restreinte : Le Marxisme avec la nature, chapitre de La nature du socialisme, 2017, p. 307-339.

Je le lis en ligne et je ne connais donc pas les numéros de page, dans le livre, de ce que je lis, cite et discute. Par contre, si on ouvre en ligne le chapitre d’Arnaud Macé, les alinéas sont numérotés. ci-dessous, je me réfère donc à ces numéros d’alinéa

Dans la correspondance de Marx et Engels, on voit « apparaître l’ambition, partagée là encore, qu’une même “dialectique” unit réellement l’ensemble des choses, des formations géologiques jusqu’aux développements de la société des hommes » (alinéa 1). Mais à cause des difficultés que ça pose, certains se sont repliés sur une dialectique « restreinte au seul champ pratique et historique ».

Par contre (alinéa 2), une dialectique générale offrirait un cadre pour une pensée des relations entre l’homme et de la nature à des marxistes que je suis tenté d’appeler « verts » en pensant à Andreas Malm (mentionné à en note 7) que je n’ai pas aimé du tout du tout.

Dans un premier temps, on commencera par mettre à l’épreuve le scénario historique dénonçant la rechute « ontologique » de la dialectique dont Engels se serait rendu coupable, par l’extension d’une dialectique restreinte à l’histoire, propre à Marx, à une dialectique générale réunissant histoire et nature : si l’examen de la deuxième et de la troisième loi de la dialectique de Engels permet de vérifier que ce dernier a bien placé la dialectique dans les choses à la faveur d’une ontologie générale du mouvement universel, l’examen de la première loi sur laquelle les deux autres se fondent amène à constater que Marx non plus ne s’en est pas tenu à une dialectique restreinte. Dans un second temps, on se demandera si la détermination ontologique de la dialectique a bien pour conséquence l’interventionnisme dont on l’accuse sur le terrain des sciences : on commencera par constater que dans les textes de Marx et d’Engels où la dialectique est rendue aux choses-mêmes, cette démarche s’accompagne au contraire de l’affirmation de la spécificité et de l’autonomie de chaque science au sein du mouvement universel ; […]

Alinéa 3.

On s’inquiète à propos d’une dialectique générale (c’est-à-dire qui s’étend à la nature) d’un possible interventionnisme de la dialectique dans les sciences de la nature, et c’est une des raisons du repli sur une dialectique restreinte. Mais (fin de l’alinéa 3) peu trouvent devoir s’inquiéter d’un possible interventionnisme de cette dialectique restreinte dans les sciences de la société et de son histoire.

On qualifie la dialectique générale d’ « ontologique » et il est généralement admis que c’est la faute à Staline. Sur ceci (alinéa 4), Macé cite (note 11) Dominique Lecourt et ne semble pas se distancier de Lecourt. En fait Staline — que Macé cite, mais sans relever ce point, apparemment sans l’avoir compris, l’ayant comme lu sans le lire — dit exactement le contraire. Il m’a immédiatement frappé quand (début de ce siècle ?) j’ai lu le texte de Staline sur la dialectique que Staline ne parle que de « méthode », ce qui est tout le contraire d’une posture ontologisante. On pourrait presque dire que Staline préfigure un passage fameux de Levins & Lewontin, si ce n’est que dans sa position, il ne pouvait sans doute se permettre de prendre une telle distance par rapport à Engels. En ce que ce texte considère la dialectique comme une méthode, une attitude à avoir pour penser le monde et en rien une conception ontologique d’une dialectique « dans » le monde, ce texte ne peut non plus en rien fonder la position de Lyssenko et de ses séides.

C’est plus loin qu’Arnaud Macé énumère les trois lois dont question plus haut, se référant à Engels dans le chapitre « La dialectique » (MEW 20:348) de la Dialectique de la nature :

Le mouvement, mode d’être d’une multiplicité infinie de réalités matérielles, a une structure, que l’on peut décrire selon trois lois, qu’Engels tire de la Logique de Hegel :

  • la première de la doctrine de l’être (loi du passage de la quantité à la qualité et inversement, das Gesetz des Umschlagens von Quantität in Qualität und umgekehrt) ;
  • la seconde de la doctrine de l’essence (loi de l’interpénétration des contraires, das Gesetz von der Durchdringung des Gegensätze) ;
  • la troisième dont il affirme qu’elle est la loi fondamentale pour l’édification du système tout entier, la loi de la négation de la négation (das Gesetz von der Negation der Negation).
Alinéa 10. (C’est moi qui met en forme de liste. Dans les parenthèses, Macé donne le texte d’Engels.)

Arnaud Macé fait (alinéa 13) une différence (à creuser) que je n’avais vu faire avant cela par personne entre la contrariété, dans le sens de différence, opposition binaire (de la deuxième loi ? alinéa 11) (comme les deux côtés d’une pièce de monnaie ?) et la contradiction proprement dite (de la troisième loi).

Sur Marx et la première loi, il y a de Marx dans le Capital une note de bas de page remarquée sur la chimie. Je pensais que la « foi » dans les « lois » de Hegel était propre à Engels dans l’Anti-Dühring et dans la Dialectique de la nature. Je voulais exonérer Marx, je voulais croire qu’en disant que la diversité de certaines molécules proches dans une série « avait pour base cette loi » [de Hegel] ou « reposait » sur elle, il formulait de manière juste un peu trop enthousiaste qu’il avait vu là seulement une illustration de la « loi de Hegel ». Mais je lisais Marx dans des traductions françaises un peu vagues. (Sur ce point, la traduction de l’équipe de Jean-Pierre Lefebvre n’est pas très différente de celle de Roy.) J’en ai maintenant publié des versions comparées. En allemand, Marx dit en fait que la série chimique dont il parle « ne repose pas sur d’autre loi », ce qui est nettement plus catégorique, comme si la chimie ne « reposait sur rien d’autre » que la dialectique. Marx pensait-il vraiment que la chimie, que le monde, obéissait aux « lois » de Hegel et seulement à elles ? Mais à quoi sert encore la science si déjà la dialectique gouverne tout ?

Sur cette question du partage de compétence entre science et dialectique (qu’il appelle la question de l’interventionnisme sous le titre 2. Ontologie et interventionnisme, alinéas 29 et suivants), Arnaud Macé trouve chez Engels quelque chose que j’avais seulement entrevu dans l’Anti-Dühring, mais pas compris. Il y a comme un partage de compétences : La dialectique serait compétente pour nous dire que la matière (le monde) est mouvement. La dialectique serait compétente pour nous dire que les formes de mouvement se changent l’une dans l’autre. Mais ce sont les sciences (et non la dialectique) qui nous disent quand et comment cela a lieu.