Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
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À propos des bandes patrilocales : Illusions théoriques et réalités ethnographiques, Journal de la Société des Américanistes, tome 74, 1988, p. 125-161.
Le conflit qui oppose les partisans de l’antériorité des bandes patrilocales à ceux de la prépondérance des bandes composites dure depuis plus de vingt-cinq ans. Il semble sans issue. En fait, il peut être résolu en prenant en considération les bandes matrilocales dont les uns et les autres feignent d’ignorer l’existence. L’introduction de ce fait ethnographique dans le débat conduit cependant à une conclusion inattendue : les questions d’antériorité sont absurdes : la bande composite, la bande patrilocale et la bande matrilocale sont probablement toutes très anciennes et il n’y a aucune raison pour que l’une ait été antérieure aux autres.
Elman Service (1962, 1966, 1971, 1975, 1979) défend depuis 1962 une thèse sur les chasseurs-cueilleurs qui se résume comme suit : 1) la bande patrilocale est la première structure sociale des chasseurs-cueilleurs et c’est la seule qu’ils aient jamais eue jusqu’à très récemment ; 2) l’actuelle organisation en bandes composites de certains d’entre eux est partout consécutive au regroupement de survivants de diverses bandes patrilocales ayant subi d’énormes pertes démographiques après la colonisation occidentale. La thèse porte exclusivement sur les chasseurs-cueilleurs archaïques (Eskimos, Athapaskans du Mackenzie, Algonquiens du Subarctique, Shoshones du Grand Bassin, etc.) que Service distingue des chasseurs-cueilleurs organisés en tribus (certains Indiens de Californie et des Plaines, etc.) ou en société à rangs (pré-chefferies de la Californie et chefferies de la Côte Nord-Ouest, etc.).
Le travail de Service repose sur la classification des sociétés cynégétiques proposée par Steward en 1936, puis, sous une forme remaniée, en 1955 (1936, 1955). Voilà d’ailleurs pourquoi on parle de typologie Steward-Service (cf. Barnard, 1983). En fait Service transforme considérablement la classification de Steward.
Pour Steward, les chasseurs-cueilleurs ont deux niveaux d’intégration sociale radicalement différents. Certains […] n’ont pas de division territoriale : les richesses naturelles sont exploitées selon la règle « premier arrivé, premier servi » et chaque groupe de deux ou trois familles nucléaires constitue à lui seul une société indépendante. À ces peuples correspond le niveau « société-famille » de l’intégration sociale (1955 : 101-121).
Chez les autres chasseurs-cueilleurs, la population se fragmente en groupes indépendants beaucoup plus larges — généralement en ensembles de cinq à cinquante familles nucléaires (Algonquiens et Ojibways respectivement), mais aussi parfois en entités comprenant jusqu’à cent cinquante familles de ce type (Montagnais). Chaque groupe contrôle un territoire sur lequel il exerce un « droit de propriété collectif ». Pour Steward ces populations sont organisées en bandes ou, plus précisément, en « sociétés-bandes » (ibid. : 108, 149).
Les sociétés-bandes se divisent en trois catégories : la bande patrilinéaire, la bande composite et la bande matrilinéaire. La bande patrilinéaire est un groupe exogame, avec règle de résidence patrilocale, comprenant de quatre à quinze familles nucléaires. Elle transmet ses droits territoriaux collectifs exclusivement en ligne patrilinéaire. Pour Steward, la formation des bandes patrilocales dépend surtout de la présence d’un gibier non migrateur. Les hommes n’ont alors effectivement aucun intérêt à sortir de leur territoire. […]
La bande composite possède elle aussi un territoire et elle en contrôle les principales richesses. Cependant, elle compte beaucoup plus d’individus et ne possède ni règle d’exogamie ni forme de résidence post-nuptiale préétablie. Les mariages se font aussi bien entre membres d’une même bande qu’entre membres de bandes différentes. […] La cohésion du groupe repose sur les rapports de coopération et de voisinage plutôt que sur la parenté.
Service part de la typologie de Stewart, mais il la modifie : de patrilinéaire, il passe à patrilocal, comme une distinction plus objective que l’importance que les populations concernées donnent subjectivement à la lignée. Des sociétés matrilocales, il conteste qu’elles soient archaïques. (P. 129-130.)
D’autre part, Service conçoit la bande patrilocale comme un type wébérien (p. 130-131). Cela lui permet de considérer les bandes composites comme des bandes atypiques, qui s’écartent du type pour des raisons accidentelles. En outre, les bandes composites seraient toutes relativement récentes (p. 134) et la bande patrilocale serait donc la composition sociale antérieure, primitive.
Mais dans l’opposition des bandes composites aux bandes patrilocales, on ignore les bandes matrilocales, que Dominique Legros examine alors longuement (p. 141-152). Il en examine alors (p.153-155) les conséquences dans le débat et conclut (p. 156) que « la classification des sociétés archaïques de chasseurs selon le mode de résidence est sans valeur heuristique pour les problèmes d’évolution socio-culturelle qu’elle est censée pouvoir soulever et résoudre. »