Dominique Meeùs
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Titiou Lecoq, Les grandes oubliées, 2023

Titiou Lecoq , Les grandes oubliées : Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Collection Proche, Paris , 2023, 233 pages, ISBN : 978-2-493909-46-6.
Édition de poche de Lecoq 2021.

Oh ! merveille ! les notes de bas de page sont… en bas de page.

Je l’achète parce qu’une amie en parle avec enthousiasme. Je lis surtout la partie préhistorique, qui correspond à des questions que j’ai beaucoup étudiées ces derniers temps.

Le livre donne une bonne introduction à la question, encore que, écrit sur un ton qui se veut léger, il est parfois un peu léger sur le fond.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Préhistoire, eh bien, c’est long.

Vraiment, très long.

De 5,5 millions d’années à 3 500 ans avant notre ère. 99,7 % des 3 millions d’années d’évolution humaine.

P. 23.

Je me demande si c’est une faute de frappe. Ce pourrait être de 3,5 à… (Environ 3.) Puis, de ces (environ) 3-là, 99,7 %. Mais c’est une réédition. Personne n’aurait vu la faute de frappe entre 2021 et 2023 ? D’autre part, on ne peut exclure que ce soit vraiment 5,5. Peut-être que tout le monde comprend les 5,5. Peut-être qu’il n’y a pas de faute et que c’est moi qui suis bouché à l’émeri.

On peut imaginer que sur cette durée, à travers le monde, il y a eu des structures matriarcales, patriarcales, voire, qui sait, égalitaires.

P. 23.

Écartons le cas de quelques anthropologue mâles qui maintiennent que le patriarcat a toujours existé, parce que c’est dans la nature des choses que les hommes dominent les femmes. Les autres, femmes et hommes, considèrent que le patriarcat est apparu dans l’évolution à partir de situations de relative égalité. Il y a eu différentes situations où des femmes avaient plus ou moins d’autorité. Mais un matriarcat — au sens de patriarcat inversé — ça ne semble pas avoir jamais existé. Elle ne dit pas ce qu’elle veut dire ici dans cette hypothèse de l’existence de matriarcats. Plus loin, p. 36, elle critique elle-même un soi-disant matriarcat qui ne serait que matrilinéarité. Mais p. 46, de nouveau, le néolithique, est la fin « de tribus au fonctionnement plus égalitaire et peut-être même matriarcal ».

P. 24, Titiou Lecoq, mentionne la découverte au Pérou, par l’équipe de Randall Haas, d’une sépulture de femme chasseresse et il doit sûrement y en avoir bien d’autres. Par ailleurs, Sébastien Villotte montre qu’une déformation du coude résultant du lancer est bien plus fréquente chez les hommes que chez les femmes préhistoriques. « Alors qui croire », dit-elle p. 25, « Sébastien ou Randall ? ». Je dirais d’abord qu’il n’y a aucune contradiction entre une statistique et une minorité. La question qu’elle pose n’a pas de sens. Il faut croire les deux. Mais la question est sans doute un effet rhétorique mal venu. Elle-même, à sa question qui n’en est pas une, répond qu’il y a une diversité de sociétés humaines et elle développe ça dans les pages suivantes.

Elle examine p. 27 la question de la maternité comme possible obstacle pratique à la chasse. (Elle ne cite pas Judith Brown, 1970, mais ça m’y fait penser.) Elle écarte l’argument : c’est un préjugé de croire que les femmes préhistoriques étaient « engrossées en permanence, avec un enfant accroché à chaque sein ». Allaitant des années, elles espaçaient d’autant d’années les grossesses. Mais il me semble que d’avoir, dans l’intervalle des grossesses, même un seul enfant au sein ne facilite pas la chasse. Elle considère cependant comme acquis son rejet ici de l’obstacle de la maternité, ce qui lui permettra d’écrire plus loin, p. 37, « que nous avons éliminé une cause naturelle… ».

Elle cite, p. 37 aussi, Françoise Héritier, 1984. (Elle en a donné la référence en la citant déjà p. 26.) Françoise Héritier suppose que les hommes, jaloux de ne pouvoir procréer, ont voulu s’approprier cette capacité en dominant les femmes. Titiou Lecoq trouve cette explication peu convaincante (moi aussi). Pourquoi les femmes se seraient-elles laissé faire ?

Par contre, elle prend au sérieux (p. 38 et suivantes) les élucubrations d’Alain Testart sur le sang. Elle admet que la thèse de Testart est discutée, mais la trouve plus convaincante parce qu’elle se situe sur le terrain de la croyance et non de faits biologiques.

Quant à moi, je suis d’accord avec de nombreux auteurs qui ont souligné au contraire qu’une croyance ne constitue pas une cause de faits sociaux. Les croyances doivent venir des faits et pas le contraire. Il faut qu’un suprématie masculine préexiste pour qu’en sortent des croyances qui servent à la justifier et à la renforcer. La prétendue explication de Testart, qui convainc Titiou Lecoq, est en fait circulaire, elle présuppose précisément ce dont on cherche l’explication.

Elle a raison que la biologie ne peut expliquer une organisation sociale historique, culturelle. Mais, comme beaucoup d’autres, elle ne voit pas que l’explication qu’elle écarte p. 27 est pratique et non directement biologique. Il n’y a pas une loi de la nature qui interdise aux femmes de chasser, il y a une réalité qui fait que, d’un point de vue pratique, il est plus raisonnable que ce soient les hommes qui chassent.

Elle associe (p. 42), la sédentarité (avec agriculture et élevage) à un réchauffement climatique, ce que je ne savais pas. Elle note aussi que les grossesses se rapprochent fort. Une plus grande richesse s’accompagne de plus d’inégalités de richesse (p. 42-43).

De l’élevage viendrait la connaissance du rôle du mâle dans la procréation. (Mais je ne vois pas pourquoi cela conduirait à une suprématie masculine.)

P. 46, le patriarcat l’emporte parce qu’il « porte dans son essence même »… de l’emporter.

Un tournant important (parce que c’est passer de la préhistoire à l’histoire) : l’écriture. C’est d’abord de la comptabilité. Des textes non comptables, les plus anciens textes personnels, d’homme ou de femme, seraient ceux d’une femme, Enheduanna (p. 47). Titiou Lecoq parle de deux textes, disant en note p. 48 que « le texte en anglais est consultable sur le site de l’université d’Oxford », sans autre précision. Par la page Wikipedia Enheduanna en anglais, je trouve quatre textes :

Acheté chez Tropismes à Bruxelles le mercredi 31 janvier 2024.