Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
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Livre extraordinaire. Regard sympathique extérieur (parce qu’il est étasunien d’origine) en même temps qu’intérieur (parce qu’il y a vécu toute sa vie) sur la construction du socialisme en Allemagne de l’Est.
C’est, je crois, un livre vraiment tout public, qui se lit comme un roman, même s’il déborde d’information. Ce n’est en rien un livre réservé aux intellectuels de gauche. Il ne faut pas avoir étudié la valeur de la force de travail et la plus-value. (De ça livre ne parle pas.) C’est extrêmement instructif, non seulement sur le socialisme, mais aussi sur le capitalisme, la propagande, l’offensive contre le camp socialiste, la démocratie bourgeoise, l’amnistie des nazis en Allemagne de l’Ouest, la gauche aux États-Unis, la droite aussi… Je me demande si ce ne serait pas un bon livre d’éducation générale de base pour de nouveaux venus dans des organisations de gauche. (En anglais seulement, provisoirement.) C’est un peu tout ce qu’on voudrait expliquer dans des mots simples, au café à un sympathisant, dans une formation à un nouveau membre. (Pas tout à la fois, bien sûr, c’est trop riche, pas seulement sur le passé, sur tous les problèmes actuels aussi.) Cependant, il faut recommander également le livre aux intellectuels, pour rappeler la réalité de la construction du socialisme et comme mine d’information sur la Guerre Froide, et le reste.
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Le livre (sans table des matières) n’est pas divisé en chapitres, mais en courtes sections de quelques pages1 numérotées de 1 à 84.
Stephen Wechsler (son nom réel), membre du Parti communiste aux État-Unis, a été étudiant et ouvrier d’usine. À l’armée, il juge prudent de n’en rien dire et pense que s’il ne fait pas de vagues, on ne va pas s’occuper de lui. En 1951, il est soldat américain en Allemagne quand il apprend qu’il va passer en tribunal militaire pour être sévèrement puni de ses mensonges. Il traverse le Danube à la nage vers l’Autriche et demande la protection de l’armée soviétique.
Assez vite, les Soviétiques l’envoient en Allemagne. Il se retrouve ainsi en 1952, à Bautzen, où on lui donne un emploi. C’est là qu’il adopte le nom d’emprunt de Victor Grossman pour protéger sa famille aux États-Unis. Il y fait la connaissance de Renate, une sténo-dactylographe avec qui il restera jusqu’au décès de celle-ci [2009]. (Lui-même, né le 11 mars 1928, vit encore au moment ou j’écris, en octobre 2020.
C’est l’époque où l’Occident refuse et sabote toute perspective de réunification de l’Allemagne. C’est alors que l’Allemagne de l’Est entreprend, en 1952, de construire le socialisme indépendamment. En 1953, on lui propose de suivre des cours de journalisme à l’université Karl Marx de Leipzig, où Renate trouve immédiatement un emploi.
Là ils se marient et vivent de son allocation d’étudiant et du salaire de Renate.
La dénazification de l’Allemagne de l’Ouest a consisté en ceci qu’après quelques ennuis, il suffisait à un nazi de prétendre qu’il n’avait fait qu’obéir, contre son gré, qu’il avait parfois aidé un juif à échapper à la répression, ou eu l’intention de le faire pour être pardonné et être intégré dans l’appareil d’État ou dans l’industrie. Les autres faisaient un peu de prison avant d’être amnistiés et de suivre le même chemin.
En 1962, la revue Democratic German Report à laquelle collaborait Victor Grossman dénonce une cinquantaine d’anciens nazis ambassadeurs de RFA, dans le monde entier.
Le criminel nazi Reinhard Gehlen installe à Munich avec l’aide des États-Unis une sorte de milice privée, Organisation Gehlen (qui deviendra en 1956 l’agence de renseignement de la RFA). Dans son personnel, il recrute une grande proportion d’anciens nazis. À ceux qui s’en émeuvent, il répond que la proportion chez lui est inférieure à celle qu’on trouve dans l’appareil d’État de la RFA.
Avant la construction du mur, l’Ouest débauchait les techniciens de l’Est (p. 65), mais en prenant bien soin d’attendre qu’ils aient terminé leur formation sur le compte de l’Est.
La RDA était confrontée à d’énormes efforts, constants, de sabotage, à partir de la RFA et des États-Unis, dont le Kampfgruppe gegen Unmenschlichkeit (KgU, goupe de combat contre l’inhumanité) lié au réseau d’espionnage ouest-allemand du criminel de guerre nazi Reinhard Gehlen. Cependant, le rôle de la Stasi n’était pas seulement de résister à ces menées contre-révolutionnaires, mais aussi de rapporter ce qui vivait dans les masses, « observing the thinking trends and general atmosphere within the population ». (P. 126. Voir aussi la section 62 sur la démocratie.) On en a malheureusement trop peu tenu compte au sommet.
C’est en étudiant et en adoptant partiellement l’expérience de la RDA (p. 142) que la Finlande a mis sur pied son système éducatif, considéré comme un des meilleurs du monde.
Le 7 juin 1982, le pape Jean Paul II et Ronald Reagan se sont rencontrés au Vatican (p. 150-151) pour convenir d’une campagne secrète de destruction de la Pologne et plus largement du bloc de l’Est.
Autodafé : pour faire place aux livres de l’Ouest, on a détruit près de cent millions de livres (p. 168).
La démocratie, ce n’est pas que le système parlementaire bourgeois :
But democracy is a far more complex matter. Despite the odd no-choice elections, the GDR certainly had its democratic elements. A certain back-and-forth communication between people and government was enhanced by a rule that written complaints to government, party leaders or elected delegates had to be answered and, whenever possible, dealt with. Many people obtained satisfaction in questions of unfair treatment or malpractices, especially in the personal or local sphere.
More important, general pressure “from below” often had a real effect. The law permitting abortion, for example, followed years of pressure by troubled women wanting to control their own lives. Improvements for young couples and new laws strengthening gender equality in job promotion and qualification reflected wishes and pressures of working people, most especially women with children. Young people’s anger at various restrictions in the field of music and recreation led to a whole new Youth Code.
Les fins de carrières étaient certainement mieux prises en compte dans les années cinquante en RDA qu’en Belgique aujourd’hui (2020), avec chez nous en plus la retraite à 67 ans.
Before long, changes were made in favor of seniors as well. One I recall was that workloads were to be reduced during the last five years before retirement without cuts in pay.
Il mentionne, parmi les tentatives de parti alternatif, l’Equality Party for woman’s rights and suffrage, de Victoria Woodhull, à laquelle Mary Gabriel a consacré une biographie (Gabriel 1998).
Il mentionne (fin de page 235) comment, au milieu de la chasse aux sorcières des années cinquante, malgré mille tentatives de sabotage, on a réussi à produire le film Salt of the Earth, ensuite ignoré, étouffé, sauf en Europe2.
La compagnie téléphonique étasunienne ITT (p. 257) contrôlait aussi le téléphone en Espagne. Son fondateur et dirigeant Sosthenes Behn, partisan de Franco, est intervenu personnellement auprès du gouvernement américain pour qu’on boycotte la république espagnole. Il avait été amicalement reçu par Hitler comme actionnaire de la société aéronautique Focke-Wulf, dont les avions ont bombardé les convois alliés dans l’Atlantique. L’ITT avait aussi une participation dans une affaire de radars en Allemagne. Après la guerre, l’ITT a réclamé aux État-Unis et au Royaume-Uni des réparations pour avoir causé des dégâts à ses usines.
Elizabeth Gurley Flynn, dirigeante de la grève dite Bread and Roses [1912 à Lawrence, Massachusetts — elle avait 21 ans], a été mise en prison pendant vingt-huit mois au milieu des années cinquante, âgée de 65 ans et diabétique. (P. 259.)
Pour Roosevelt, la première liberté est la liberté d’expression (p. 261), mais elle est souvent combattue aux États-Unis et en RFA. En RFA, le parti communiste a été interdit en 1956 (p. 262). Dix ans après, sous Willy Brandt, on a connu les interdictions professionnelles. On a examiné le cas de 1,4 million de « suspects ». Un film comme Casablanca a été interdit comme trop subversif : trop anti-nazi pour la RFA.
Aux États-Unis beaucoup de gens ne peuvent pas payer le loyer et se retrouvent à la rue. À la rue, certains en meurent : 81 sans abris retrouvés morts dans la rue à Sacramento en 2016 (p. 266).
I have to think back to the GDR! Even people who ignored warnings and paid no rent for years — an extremely rare event, since rent cost less than 5 or 10 percent of most incomes — could not be thrown out of their homes until a new affordable apartment was found for them. Evictions were prohibited by law. In all thirty-eight years, I saw not one single person sleeping in parks or on sidewalks. And not one beggar!
L’égalité entre les hommes et les femmes en matière de tâches ménagères progresse à un allure de tortue et on a souligné avec raison que ça ne se résout pas comme par un coup de baguette magique avec le socialisme. Cependant, le socialisme, ça aide et c’était certainement le cas en RDA :
Age-old traditions undeniably burdened most women with household and child-rearing duties, doing far more work with far less leisure than most husbands. This gradually changed, partly due to enlightenment in books, films, and TV; and fewer fathers remained reluctant about fetching offspring to and from kindergarten or doing more in the home than small repairs or taking out the garbage. The fact that, if need be, nearly all women could manage financially without a husband led, for better or worse, to higher divorce rates (without assigning guilt). Since women were no longer forced to stick with a spouse who was abusive, alcoholic, or too old-fashioned and lazy to carry his share they could tell him to go to hell! And often did.
Dans les « quatre libertés » de Roosevelt (p. 261), la liberté numéro 1 pour Grossman (et pour moi et pour beaucoup d’autres), c’est la troisième seulement pour Roosevelt : être libéré du besoin, manger tous les jours, quoi. Pour Rooselvelt et pour la plupart des intellectuels bourgeois et petit-bourgeois, la liberté numéro 1, c’est la liberté d’expression (et la deuxième de Roosevelt la liberté religieuse). Ce n’est pas que Grossman sous-estime les libertés démocratiques (et il admet que ce n’était pas le point fort de la RDA), lui aussi trouve ça très important, mais il considère que ça vaut surtout comme instrument (ustensil, p. 284) pour conquérir et défendre la liberté qui reste la première, la plus fondamentale, être à l’abri du besoin.
Les État-Unis n’ont pas cessé de faire la guerre et de massacrer des civils partout dans le monde. L’Iran compte 80 millions d’habitants. Si ce pays attaquait Israël, dit Hillary Clinton : « we would be able to totally obliterate them ». C’est typique de l’Occident de punir les peuples des pays qui menacent leurs intérêts.