Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Il s’agit d’un livre extrêmement riche, qui parcourt l’histoire des idées sur le vivant, l’évolution et l’homme, mais donne ce faisant l’état actuel des connaissances scientifiques en la matière.
Dans cette table, les titres qui sont des liens renvoient plus bas à des citations ou commentaires.
On pourrait s’étonner que des espèces ayant en commun plus de 98 % de leur génome, comme l’Homme et le chimpanzé, puissent malgré cela être aussi différentes morphologiquement et psychiquement. En fait, l’idée qu’à un gène correspond un caractère et qu’à une somme de gènes correspond une somme de protéines et une somme de caractères dont l’ensemble caractérise une espèce correspond à une simplification abusive. Le mode d’action des gènes et des protéines, c’est-à-dire le mécanisme qui aboutit à édifier les structures et les fonctions d’un être vivant, est fondé sur des réactions et des interactions combinatoires entre des gènes ou des groupes de gènes, des protéines ou des groupes de protéines. Les possibilités diverses issues de ce mode de fonctionnement interactif sont encore démultipliées par le fait que les gènes ont une structure discontinue, « mosaïque », qui leur permet de faire varier leur potentiel d’informations, et que les protéines qu’ils codent peuvent aussi, par le jeu de reploiements multiples, diversifier leurs fonctions. Au total, cette combinatoire impliquant un nombre relativement réduit d’éléments informatifs (35 000 gènes) permet de produire une variété considérable de structures et de fonctions, ce qui implique des conséquences énormes au niveau de l’organisme vivant (Homme… ou chimpanzé !).
Les scénarios les plus populaires, font la part belle à un Darwinisme très classique, et témoignent d’une vision gradualiste de l’évolution fortement teintée de ce qui pourrait apparaître comme un Lamarckisme latent. Ils attribuent à des changements survenus dans l’environnement naturel le déclenchement, l’orientation et la sélection des variations successives conduisant progressivement à l’hominisation. Dans ce contexte, la première adaptation, qui entraîne et conditionne toutes les autres, est l’acquisition de la bipédie. Nous retiendrons à titre d’exemple la « théorie de la savane » qui est particulièrement représentative de cette façon de voir, et comporte de nombreux éléments dignes d’êtres pris en considération.
D’autres hypothèses font référence à une évolution discontinue des schémas morphogénétiques chez les primates, les modifications successives allant toutes dans le même sens pour aboutir irrémédiablement au plan d’organisation propre au genre humain. Ce type de raisonnement donne volontiers la priorité à l’évolution du cerveau sur l’acquisition de la bipédie ; il est enrichissant mais n’évite qu’imparfaitement de glisser vers une vision finaliste de l’évolution dans laquelle l’Homme apparaîtrait comme l’aboutissement d’un « projet » biologique. La « théorie du grand attracteur » est significative de cette façon de voir.
Il est possible, enfin, de faire la synthèse entre la théorie de la savane et celle du grand attracteur, en « gommant » au passage leurs aspects les moins documentés ou les plus hasardeux, et en s’appuyant sur quelques acquisitions récentes de la génétique moléculaire du développement. C’est l’hypothèse de la « protéine du silence », qui associe la notion d’ évolution discontinue à celle de la sélection graduelle.
— La théorie de la protéine du silence, qui propose une bonne recette pour devenir un singe vertical (et pour diffuser et développer cette aptitude), s’appuie sur la découverte, chez la drosophile d’une petite protéine très spéciale. La protéine de choc thermique HSP 90 a été mise en évidence en 1999 par Susan Lindquist et Suzanne Rutherford de l’Université de Chicago ; c’est une protéine « chaperonne » qui contrôle les changements de conformation — c’est-à-dire l’activité — d’autres protéines, codées par des gènes architectes et impliquées dans la morphogenèse au cours du développement.
Lorsque les gènes architectes sont touchés par des mutations, ils codent des protéines du développement dont la conformation est aberrante. Dans des conditions d’environnement habituelles, HSP 90 se fixe sur ces protéines anormales et restaure une conformation fonctionnelle. Des mutations touchant les gènes architectes peuvent donc être transmises de génération en génération et s’accumuler dans le génome, sans jamais s‘exprimer et sans que la morphogenèse des organismes successifs soit perturbée.
Lors d’un stress, provoqué par des modifications brusques de l’environnement, HSP 90 n’est plus en mesure de jouer son rôle. Les mutations mises en réserve dans le génome, et qui étaient jusqu’alors demeurées silencieuses, s’expriment toutes à la fois au cours du développement, provoquant une morphogenèse atypique.
Si on admet que les observations effectuées chez la drosophile peuvent être généralisées (ce qui n’est pas démontré), cela signifie que des anomalies du développement ne résultent pas nécessairement de façon directe de modifications affectant l’environnement, mais qu’elles pourraient en quelque sorte préexister et se manifester à l’occasion d’un événement particulier. Les gènes mutés dormants accumulés chez divers individus constitueraient une sorte de « réserve évolutive », susceptible de répondre à une situation qui met l’espèce en difficulté, en donnant naissance à un foisonnement d’espèces nouvelles, morphologiquement différentes, et dont certaines pourront être en mesure de s’adapter à une situation différente.