Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Par rapport aux trois premières, cette édition-ci a été retravaillée en profondeur. Le nombre de pages à doublé entre 2008 et 2020. J’accumule ici de nombreuses remarques de détail. Dans une autre page, Davis 2020, j’en tente une analyse plus élaborée (et plus courte).
iii PrefaceFor Marx and Engels, the oppression of women and their super-exploitation as workers is located within the social relations of production. Nonetheless, it would be a mistake to think that Marx and Engels said the last word on the subject. There are vital areas of social reality which Marxists (including Marx) have simply not addressed. If there is to be any renewal of Marxism, it is not simply a matter of going over old ground, but breaking the new. The most obvious omission centres on the realities of women and black people in society. Our challenge is to address this.
Apparaissent ici trois expressions, trois thèmes, trois notions centrales qui reviennent tout au long du livre : l’oppression, la surexploitation, la conjonction femmes et noirs.
C’est un objectif méritoire de vouloir enrichir le marxisme, plutôt que de se contenter d’en faire l’exégèse. Deux remarques cependant :
La surexploitation des travailleuses pose moins de problèmes. (Si on ne la confond pas avec l'exploitation, si on la situe bien à un autre niveau d'abstraction.) Le problème central, c’est ce que Mary Davis entend exactement par oppression, en particulier dans le cas des femmes, et comment elle la situe dans les relations sociales de production. Il faudrait parcourir toutes les occurrences du mot oppression et de la relation entre oppression des femmes et classe pour voir si quelque part elle explique clairement ce qu’elle veut dire. Pour structurer mes notes de lecture, je reprends les titres de chapitres et de paragraphes. Pour faire un inventaire sur ces question de l’oppression, je crée des chapitres ad hoc à moi (D.M.).
D.M. — Recherche sur oppression et classeFor Marx and Engels, the oppression of women and their super-exploitation as workers is located within the social relations of production.
[…] On the left, there is a tendency to subsume women’s issues within the general class struggle, or to relegate them to a secondary position. […]
[…] It was to some extent understandable that the anger inspiring a new movement, as the women’s movement was in the 1970’s, gave theoretical and practical emphasis to the personal — the individual, subjective experience of oppression by men. From ‘radical’ feminism’s assertion that the motor of history is the sex war, to ‘cultural’ feminism’s notion of a ‘special’ female nature, the move has been away from a class and political analysis of, and strategy to combat, women’s oppression.
De nouveau l’oppression des femmes est aussi ancienne que la société de classes :
It is our view that the oppression of women emerged at the same time as class society; that both class exploitation and female oppression have their origins in the emergence of property relations based on private accumulation of wealth and the appropriation of labour.
L’oppression des femmes a, comme l’exploitation, son origine dans la propriété privée. L’exploitation capitaliste, c’est la plus-value. On voit apparaitre ici exploitation dans un sens large : l’appropriation du travail (d’une classe par une autre, dans un contexte de propriété privée).
Lors de l’apparition de la propriété privée, « why it was that men emerged as the owners » (p. 1), je me le demande aussi. Suivent des considérations circulaires sur la division sexuelle du travail et sur le soin des enfants, dont on ne voit pas si elles sont présentées comme la cause ou la conséquence de l’oppression des femmes.
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Mary Davis réaffirme (p. 6) que pour Engels (et donc en fait pour elle-même)
La distinction entre exploitation et oppression apporte, sinon une définition formelle, au moins une indication, à partir du cas des femmes, sur le sens du mot oppression :
In Marxist terms, exploitation and oppression are thus specific and distinct. Although all women may be oppressed in the sense of being treated as second class citizens, only those women who are engaged in wage labour are exploited.
L’oppression serait conférer un statut inférieur. Comme le capitalisme ne connaît d’autres statuts que les classes, un statut inférieur n’aurait me semble-t-il d’existence que sur les plans politique et idéologique, contrairement aux assertions de prérequis ou de lien indissoluble.
D.M. — Recherche sur la surexploitationD.M. — Recherche sur oppression, surexploitation et capitalismeElle ne semble pas admettre qu’il y ait un problème en soi de préjugé contre les femmes, sans doute dans la plus grande partie du genre Homo dans l’espace et dans le temps, indépendamment des classes. Quoi qu’il ait pu se passer dans la préhistoire ou l’histoire, sous le capitalisme, c’est indissolublement lié (reste à savoir comment) au fonctionnement et à la reproduction du capitalisme :
Now, more than ever before, we need an approach to the ‘woman question’ which recognises that female oppression is indissolubly linked to the operation and maintenance of the capitalist system; […]
Le lien entre oppression et capitalisme serait que ça « maximise les conditions d’exploitation » en divisant les travailleurs.
To understand the nature of women’s oppression under capitalism and its relation to other forms of oppression, we have to begin at the level of the relations of production with the fact of the economic exploitation of the working class by the ruling class. Specific forms of oppression, most notably those of women and people of colour, serve to maximise the conditions for that exploitation by dividing and weakening the working class.
Je ne sais s’il faut faire une différence entre « maximiser les conditions d’exploitation » et maximiser l’exploitation elle-même. Le lien qu’on cherche serait donc que le capitalisme a « indissolublement » besoin de surexploitation d’une partie de ses travailleurs et a donc besoin d’oppression des femmes (et des noirs).
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L’oppression doit être soutenue au niveau idéologique. Le sexisme et le racisme étant liés à la société de classes depuis toujours, on finit par ne plus voir leur origine dans la division en classes :
The problem is that the subjugation of women (and black people) has been historically connected with class society for so long that it has become the accepted natural order of things. The oppressive ideologies sustaining subservience are so culturally rooted that they have passed beyond naked statements of class rule and entered into the very fabric of our lives including language itself. As such the ideologies of both sexism and racism have become universalised and hence disembodied from their class origins. They have thus fulfilled the ultimate goal of ideology — namely io represent the interests of the dominant class as the interests of society as a whole.
Ainsi, l’oppression des femmes (et des noirs) est indissolublement liée au capitalisme, mais est aussi ancienne que la société de classes. Cette oppression aussi ancienne que la société de classes, quand arrive le capitalisme, se trouve avec ce nouveau mode de production particulier un lien particulièrement indissoluble. Non seulement on oublie l’origine lointaine du sexisme et du racisme, mais ils apparaissent comme dans l’intérêt de l’ensemble de la société. (Est-ce que le sexisme et le racisme apparaissent comme dans l’intérêt des femmes et des noirs ?)
Le lien indissoluble se précise (mais toujours sur le seul plan de l’assertion), c’est un prérequis :
The super-exploitation of women as workers and their oppression as women is a fundamental prerequisite for the operation of capitalism — economically, politically and ideologically.
Communists, building on the rich heritage of Marx, Engels, Lenin, Zetkin and others recognise there can be no question of personal choice, predilection or prejudice in the degree of attention accorded to women’s issues. Communists recognise that all class societies are characterised by the subordination of women. The inequality of women has its roots in the inequalities and antagonisms of all class societies.
Elle reprend de manière non critique (j’y reviendrai) la position d’Engels que la situation inégale des femmes naît avec la division en classes, que dans toutes les société de classes et seulement dans celles-ci, les femmes sont infériorisées. Cette affirmation dogmatique pose le problème qu’on en sait trop peu sur « toutes » les sociétés de classes.
Dans le cas du capitalisme, il faut partir des relations de production, de l’exploitation. L’oppression des femmes et des gens de couleur « serve to maximise the conditions for that exploitation by dividing and weakening the working class ». (Les bas salaires maximisent l’exploitation elle-même, pas les conditions, ai-je pensé à première lecture, mais il est juste de dire que l’oppression et la division maximisent les conditions.) Cependant, l’inégalité dans toutes les sociétés de classes antérieures fait que l’infériorité des femmes est idéologiquement considérée comme allant de soi, indépendamment des classes. La dimension économique de l’oppression dépend de l’idéologie sexiste. « Racism and sexism as material and ideological facts are central to the maintenance of capitalist and pre-capitalist class relations (p. vi). »
The relationship between the economic ‘base’ and the forms of oppression conditioned by it, is not linear or mechanical. […] A full understanding of the relationship between women, exploitation and oppression is vital if we are to rescue the woman question from interest group politics.
The super-exploitation of women as workers and their oppression as women is a fundamental prerequisite for the operation of capitalism — economically, politically and ideologically.
Deux problèmes ici :
A great deal of theoretical and historical work on the woman question has focused on a search for the origins of the oppression of women. The existence in all known societies of a sexual division of labour has led many to assume that, at some point in pre-history, men acquired power over women. The why and how of this varies […].
All such theories are based on the assumption of an inherent competition and conflict between the sexes, and of a biologically determined male aggression and/or female vulnerability. All the evidence, however, points to the opposite. Early human social organisation was highly co-operative and egalitarian. The success of human beings as a species lay in their ability to work and in the co-operative nature of social organisation. Sexual divisions of labour did exist and would certainly have been strongly influenced by the demands and constraints of child rearing.
However, these divisions are not antagonistic. It took a qualitative change in the productive forces (i.e. the possibility of the production and accumulation of a surplus) for the social relations to become ones of domination and subordination.
This pamphlet is not concerned with attempting to make a definitive statement about the pre-historical origins of the sexual division of labour, which necessarily involves a fair amount of speculation. It is our view that the oppression of women emerged at the same time as class society; that both class exploitation and female oppression have their origins in the emergence of property relations based on private accumulation of wealth and the appropriation of labour.
Exactly why it was that men emerged as the owners and controllers of this new form of property is an important and interesting question, but should not form the exclusive or primary focus of theoretical or historical inquiry into the woman question.
Dans le deuxième alinéa, elle conteste l’idée d’un conflit a priori (inhérent) entre les sexes (première phrase, résumant le premier alinéa), et y oppose (dernière phrase de ce deuxième alinéa) le point de vue plus matérialiste d’une division du travail liée à la reproduction sexuée. Elle y revient encore plus bas dans ce passage.
Elle affirme a priori que l’organisation sociale des débuts de l’humanité était coopérative et égalitaire. Un premier problème est qu’elle ne précise pas ce que veut dire « early human ». Dans les hominiens (ou hominines, Hominina), certaines espèces déjà avant le genre Homo ont taillé des silex. Ça fait beaucoup de monde1 pour dire au singulier que l’organisation sociale était ci ou ça. Quand bien même elle n’appellerait « human » que le genre Homo, ça fait encore une trop grande diversité. Si on se limite à notre espèce, ça fait beaucoup de groupes qui ont beaucoup voyagé, vécu des aventures différentes. Faut-il qu’ils aient eu tous la même organisation sociale ?
Elle souligne qu’une organisation sociale collective a contribué à la réussite de notre espèce, un peu comme une justification de son affirmation a priori : puisque c’est avantageux, ça a dû se passer ainsi. Mais dans la nature, il n’y a jamais une solution qui s’impose. Il y a des espèces très sociales et des espèces dont les individus sont plus solitaires. Ensuite, elle glisse de coopératif à égalitaire, mais rien n’empêche une espèce sociale d’être hiérarchique. C’est le cas des guêpes, des abeilles et des fourmis. Par ailleurs, l’homme est nature et culture. Un avantage évolutif n’explique pas tout. Le capitalisme mondialisé est un cas d’école, exemple d’une production hautement socialisée : il en résulte que le monde est un village ; le moindre produit peut avoir impliqué des millions de travailleurs. Ce n’a pourtant rien de particulièrement égalitaire.
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Elle ne va pas faire de « definitive statement about the pre-historical origins of the sexual division of labour », ce qui est prudent, mais déjà dans la phrase d’après, elle fait exactement le contraire : elle adopte dogmatiquement la position que les relations patriarcales naissent avec les classes sociales et les relations de propriété. (Elle admet qu’on ne voit pas pourquoi ce sont les hommes et non les femmes qui deviennent propriétaires. Elle a le mérite de poser la question2.)
Elle a préjugé d’une préhistoire égalitaire qui se termine avec l’accumulation et l’appropriation de travail. Quand elle continue avec « a feature common to all known societies », il s’agit sans doute de toutes les sociétés après ce tournant, puisqu’avant, on est supposé être dans l’égalité pour l’essentiel. Là, les femmes font l’expérience d’une « general subordination to their male peers ». Avant, il pouvait y avoir division du travail entre les sexes, mais sans hiérarchisation. Le progrès de la production aurait pu diminuer cette division du travail, mais avec les classes elle augmente au contraire.
Je note au passage que souvent elle se perd quant au niveau de généralité auquel elle se situe. « But generally, in class societies, women have a greater responsibility for child care and domestic work, as well as participating in social production, while men have a greater responsibility for the provision of the means of subsistence (p. 1). » Il me semble qu’elle projette sur « generally, in class societies » un modèle du chef de famille mâle gagne-pain qui n’est qu’une conception parmi d’autres (et plutôt en recul) sous le capitalisme.
Although there was a clear division of labour by sex in pre-class societies, women’s work was not regarded as inferior to that of men. In contrast, in class societies, women’s work and status is invariably seen as inferior to that of their male peers.
Les sociétés d’avant les classes sont aussi des sociétés d’avant l’histoire, préhistoriques. On ne sait donc que pratiquement rien de leur organisation sociale, de leur division sexuelle du travail et certainement encore moins que rien de ce que les gens en pensaient (« regarded as »). C’est un fait qu’aussi loin qu’on sache, les femmes ont été considérées comme inférieures aux hommes (encore souvent même maintenant) et donc leurs activités ont été considérées comme inférieures à celles des hommes, mais le ressasser ne l’explique pas. On espère y arriver après avoir rappelé quelques principes marxistes :
The movement from simple subsistence to the production of a surplus laid the material basis for the development of trade, the appropriation of labour and the concept of private property. The development of plant and animal husbandry and more complex instruments of production could have reduced the sexual division of labour. But with the emergence of class societies came a deepening of that division and the attribution of an inferior status to woman’s work, the appropriation of her labour and control over her reproductive capacity. Unless we want to explain female subordination in terms of genetics, hormones or the working of a supernatural force, we have to examine the interaction between the fact of female biology and the social construction of that fact in the context of class society.
To begin we need to restate some basic Marxist principles.
The motor of history is the interaction between the productive forces and the relations of production. Within a particular mode of production, as productive forces develop they come into conflict with the production relations to which they originally corresponded. In the course of development, the outmoded production relations inhibit the further development of the productive forces. In the tension which develops, class conflict is heightened with the possibility of social revolution and a qualitative change to a new mode of production.
J’ai parlé de dogmatisme à propos de ses affirmations sur la préhistoire, qu’elle ne connaît pas. Ici encore, elle prend pour argent comptant les écritures saintes. Le passage de Marx en 1859 sur laquelle elle se base, Marx l’introduit en disant : « voici où j’en étais arrivé » (à Bruxelles plus de dix ans avant). On ne peut pas dire que ce soit la conclusion d’une élaboration théorique… qui n’est écrite nulle part.
Chez d’autres, on rencontre souvent une formulation encore plus mécaniste (dans une conception idéaliste chosifiant la contradiction) où c’est la contradiction entre forces productives et relations de production qui produit d’elle-même le changement. Ici, elle dit très justement que le changement, possible, vient des acteurs sociaux.
Under primitive communism there is no exploitation because the possibility of producing a surplus — the material basis for that exploitation — does not exist. But as human social organisation and productive forces developed (in particular with the development of large animal husbandry with its possibility of producing surpluses), economic inequalities and relations of dependence emerged; importantly at this stage, so also did the subordination of women and slavery.
Les relations entre surplus, accumulation de richesses, inégalités, appropriation du surplus sont beaucoup plus complexes, beaucoup moins évidentes qu’il n’y paraît et qu’elle ne le croit. (Voir Darmangeat 2013, que je devrais relire d’ailleurs.) Avec le surplus, apparaissent l’esclavage et la domination des femmes. Je pense que Mary Davis est sensiblement plus jeune que moi. Elle n’a donc pas pu être témoin oculaire de ce tournant ancien de l’histoire. Je suppose que là aussi, elle fait simplement confiance à Engels.
Que l’esclavage soit la première relation de classes antagoniques (p. 3), j’en doute fort. Dans le monde que décrit Homère, les esclaves sont seulement servantes, surtout chez les riches. Or il y a des propriétaires très riches et des petits propriétaires moyens ou pauvres. À un moment où l’esclavage joue un rôle mineur, il doit y avoir opposition de classe entre riches propriétaires et petits propriétaires. C’est de nouveau la répétition dogmatique d’une chose entendue ailleurs, pas une thèse scientifique.
La féodalité « inhibited the development of industrial production and of the emergence of the final antagonistic classes — the bourgeoisie and the proletariat. » De nouveau, c’est du catéchisme, pas de la science. C’est forcer l’histoire à entrer dans le moule de la préface de Marx en 1859 dont question plus haut. En Angleterre, la féodalité entre très tôt dans une sorte de dégénérescence pour des raisons qui lui sont propres, pas dans le but téléologique de d’autoriser des siècles plus tard James Hargreaves, Richard Arkwright ou Samuel Crompton à implanter leurs machines. Ce n’est pas du matérialisme historique de croire que la féodalité pouvait « inhiber » à distance dans le temps une production industrielle qui ne viendrait que bien plus tard et surtout que cette inhibition, qui n’était que future, pouvait d’avance être le moteur de l’histoire.
Attention au mot bourgeois. On oublie qu’on l’utilise dans deux sens très différents : longtemps, avant le capitalisme, les bourgeois ce sont les citoyens (d’un rang suffisant, du moins) d’une ville — c’est l’étymologie du mot ; plus tard les bourgeois ce seront les capitalistes (et leur famille).
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« Under capitalism, surplus labour, the basis of capitalist profit, is hidden by the wages system. » En effet, ce qui compte, c’est l’achat par le capitaliste de la force de travail des travailleuses et des travailleurs. Le salaire apparaît comme payant le travail. Cela cache le fait que ce n’est pas le travail qui est payé, mais la force de travail. L’achat de la force de travail est un contrat. La force de travail a une certaine valeur. Le capital variable paie cette valeur en principe. Il s’agit bien dans le principe d’ « exchange of equivalents ». C’est le fondement de la théorie de l’exploitation. Non seulement le salaire cache ça en paraissant payer le travail plutôt que la force de travail, mais en outre, il ne correspond jamais vraiment à la valeur de la force de travail. Un salaire du même montant peut être payé à des travailleuses ou des travailleurs célibataires ou mariés, avec ou sans enfants. Un salaire plus bas peut être payé aux femmes, sans que leur force de travail soit moindre en valeur. Or Mary Davis nous introduit à la théorie de l’achat et de la vente de la force de travail avec l’expression « wage bargain » qui est le contraire de la théorie. L’achat et de la vente de la force de travail, c’est un échange d’équivalent. Ce n’est jamais le cas du salaire. Il y a donc toujours marchandage et lutte sur le montant du salaire, « wage bargain ». Il ne viendrait à personne l’idée de dire « marchandage salarial » ou « lutte salariale » comme synonyme de « contrat de travail ».
Dans toute la suite du livre, cette confusion persiste et diminue la clarté de son concept de surexploitation. L’exploitation est un concept théorique (et une réalité) au niveau de l’échange de valeurs équivalentes. La surexploitation est un concept théorique aussi, si l’on veut, mais à un autre niveau. Il ne s’agit plus de valeurs équivalentes, mais au contraire, dans le concret, de salaires qui ne correspondent pas du tout à la valeur.
Dans la préface, Mary Davis appelle à enrichir le marxisme. Il faut répondre à son appel, mieux étudier la théorie, être plus rigoureux dans la définition et dans l’usage des concepts théoriques de base, être plus précis dans des concepts plus proches du concret comme oppression et surexploitation.
L’achat et de la vente de la force de travail, c’est un acte contractuel qui suppose que les deux parties ont pouvoir de contracter. Les deux parties sont, de ce point de vue, égales devant la loi. « Capitalism is based on an apparent equality (p. 3). » Ce n’est pas une fiction, c’est une réalité et cette réalité, Marx y insiste, est même une condition de possibilité du capitalisme. Mais bien sur, sur le plan économique, c’est l’inégalité totale : l’un a du capital et l’autre n’a pas les moyens de vivre — c’est la définition ne prolétaire — et n’a pas d’autre choix que de vendre sa force de travail. La différenciation entre capitalistes et prolétaires et la seule différentiation qui reste sous le capitalisme. Même en concurrence à couteaux tirés, les capitalistes forment une classe. Les prolétaires, quelles que soient leur différences, en forment une autre. Si on considère ces deux classes, dans une société où seul compte le capital, il n’y a pas de différence essentielle entre capitalistes : ils ont en commun d’être capitalistes et non prolétaires ; il n’y a pas de différence essentielle entre prolétaires : ils ont en commun d’être prolétaires et non capitalistes. Il y a en un sens là aussi une tendance à l’égalité. Prolétaires et capitalistes sont (i) égaux en droit pour contracter et (ii) les prolétaires sont économiquement aussi inégaux des capitalistes que possible. On peut dire du capitalisme qu’il a une tendance fondamentale à l’égalité (iii) dans le fait qu’il n’y a plus que deux statuts qui comptent vraiment, capitaliste ou prolétaire ; qu’il y a donc égalité de statut dans chaque classe.
There is thus a contradiction between the tendency towards political equality and the necessity for economic exploitation. Out of this essentially exploitative relationship flows a variety of oppressions both overt and covert which serve to maximise the conditions for the extraction of surplus value. The oppression of women and of black people set up contradictions in denying, distorting or inhibiting the necessary tendency towards political equality.
Mary Davis dénonce le fait que l’égalité en droit (i) est illusoire face à l’inégalité économique (ii). De là, elle tire que le capitalisme est contradiction entre égalité et inégalité. Mais la tendance à l’égalité du capitalisme ne se réduit pas au droit de contracter. Elle ne semble pas voir cette tendance à l’égalité plus fondamentale, la réduction (iii) à seulement deux statuts. De l’inégalité fondamentale (ii) entre capitalistes et prolétaires, elle s’autorise à décréter que l’exploitation est essentiellement inégalité… entre prolétaires. Il est vrai que des prolétaires sont dans des positions différentes et sont donc différents entre eux face de l’exploitation. L’exploitation peut jouer de manière opportuniste sur des différences entre prolétaires (ou sur des préjugés) et on peut parler d’oppression et de surexploitation (dont on attend toujours la définition), mais il est faux de voir ça comme indispensable au fonctionnement du capitalisme : « of crucial importance to the continued functioning of capitalism (p. 3) ».
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Elle termine cette page 3 en annonçant que le travail ménager (« role of domestic labour ») sera examiné dans « the discussion of the nature of women’s oppression and exploitation in Britain », mais je ne vois rien de ce genre dans la table des matières. Il faudra que je repère ce passage quand je tomberai dessus et que j’en note alors ici l’emplacement.
4 Engels’ viewRésumé d’abord de l’Origine de la famille d’Engels.
Much is made of the empirical shortcomings of the anthropological evidence employed by Engels. Social anthropology has advanced since Morgan wrote his major study of Native North Americans (Ancient Society, 1877) from which Engels drew much of his empirical material, and some of the source material is flawed. However, such criticisms do not disprove Engels’ thesis nor undermine his historical method.
Bien des thèses d’Engels dans son livre sont fausses ou construites sur le sable. Je ne sais pas quelle est pour Mary Davis « la » thèse qui n’est pas réfutée.
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Dans la préface de la première édition (1884), Engels dit que le facteur déterminant en histoire, c’est la survie de l’humanité, c’est-à-dire d’une part la production des moyens d’existence et d’autre part faire des enfants.
Pour Engels, il y a donc bien un unique facteur déterminant, mais ce facteur unique est à deux faces. Cela fait un peu peur à Mary Davis en ce que ça remettrait en cause l’importance du concept de mode de production, de la base économique. Faire des enfants, ce serait aussi une base de l’organisation sociale. Nombreuses sont les féministes qui ont remarqué ça. Mary Davis craint qu’avec une double base de la société, on glisse à des théories basées sur deux systèmes indépendants de structuration sociale, où l’oppression des femmes serait relativement indépendante du mode de production. Elle estime qu’on fait une lecture erronée de ce passage d’Engels, qu’il n’est ambigu que si on néglige d’autres écrits de Marx et lui. Mais dans ce passage de la préface, Engels ne fait que répéter des idées que Marx et lui avaient émises déjà dans l’Idéologie allemande dans le sens que Mary Davis n’aime pas. Mary Davis nous met en garde et nous ramène à l’orthodoxie :
Engels is clear that the oppression of women, the institution of the family and all social relations must be dealt with in class terms, i.e. in relation to specific modes of production.
He is also clear that the oppression of women and class exploitation appeared in history coincidentally because of their common origin in the development of private property. The accumulation of wealth under private ownership was the material basis for the establishment of class society, and the material basis for the oppression of women by the men who controlled that wealth.
⁂
Mary Davis passe alors à Clara Zetkin (p. 7).
The situation for working class women is created by capitalism’s need for exploitable labour. The oppression of working women lies in their dual roles as worker, or potential worker, and as wife and mother. Therefore the solution for working women lies ultimately in the achievement of socialism.
C’est un peu court. On ne voit pas pourquoi la situation des femmes sous le capitalisme est créée par le capitalisme. Le besoin de travail exploitable vise les hommes comme les femmes. Il est vrai qu’il y a pour les femmes un problème de double journée, mais c’est plus le fait des préjugés, du sexisme, que du capitalisme et l’histoire a montré que le socialisme n’est pas automatiquement une solution. Ce qui est vrai, selon moi, c’est que la double charge s’allège si on donne plus de moyens et que là-dessus, on peut obtenir un certain progrès sous le capitalisme, mais que le socialisme offre plus de possibilités.
9 Two Rival theories