Dominique Meeùs
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Auteurs : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
Auteur-œuvres : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U, V, W, X, Y, Z,
C’est un livre très philosophique, ce qui fait que, d’une part, j’ai du mal à suivre, et que, d’autre part, je ne suis que modérément convaincu que c’est intéressant. Je note cependant l’une ou l’autre chose au passage.
(encadré) 4 Matérialisme dialectiqueLe débat [entre « dialecticiens » et « mécanistes »] est tranché de façon autoritaire par le Secrétaire général Staline qui fait publier en 1931 un décret identifiant le matérialisme dialectique au marxisme-léninisme [réf. à René Zapata 1983]. Sept ans plus tard, dans l’opuscule Le Matérialisme dialectique et le matérialisme historique (1938), il en codifie le contenu en énumérant les lois de la dialectique, fondement des disciplines particulières et notamment de la science de l’histoire, ainsi que garantie a priori de leur conformité à la « conception du monde prolétarienne ».
C’est un peu court. Dans « l’opuscule », le mot loi n’intervient que lorsque Staline aborde l’histoire. Dans toute la partie du début, sur le matérialisme dialectique, jamais il n’est question de lois. Toujours, on parle de « méthode dialectique marxiste », où la dialectique « regarde »…, « considère »… En conclusion : « Tels sont en bref les traits fondamentaux de la méthode dialectique marxiste. » Qu’il y n’ait dans ce passage aucune occurrence du mot loi, que les lois d’Engels deviennent des « traits », cela me semble dire quelque chose. On dirait que Staline n’aime pas les lois d’Engels dans ce qu’elles ont de trop catégorique et hégélien. (Même s’il cite Engels et certains de ses exemples dans les sciences de la nature.) Par contre, les « lois » reviennent quand il s’agit de l’histoire.
C’est tendancieux aussi, pour ne pas dire plus. L’expression « conception du monde prolétarienne » est totalement absente de « l’opuscule ».
Quant au décret de 1931, je n’ai pas accès au livre de Zapata, mais je le retrouve ailleurs :
La philosophie M.L., le matérialisme dialectique, est la seule théorie scientifique qui fournit au prolétariat une conception intégrale du monde et une arme pour l’avènement de la dictature du prolétariat et la reconstruction socialiste de la société. Somme des connaissances atteintes par l’humanité, elle est confirmée chaque jour par l’expérience de la lutte des classes et par chaque progrès de la recherche scientifique.
Là ce qui moi me frappe, c’est qu’on puisse qualifier une philosophie (quelle qu’elle soit) de théorie scientifique.
(encadré) 9 Trois sources ou quatre maîtres ?Il rappelle « les trois sources du marxisme » et leur origine, mais évoque aussi quatre influences : Épicure, Rousseau, Adam Smith et Hegel.
24 Les deux faces de l’idéalisme… le matérialisme de Marx n’a rien à voir avec une référence à la matière — et cela restera le cas pendant très longtemps : jusqu’à ce qu’Engels entreprenne de réunifier le marxisme avec les sciences de la nature de la seconde moitié du 21e siècle.
Le matérialisme historique de Marx, c’est « prendre le contre-pied de l’idéalisme ». Là-dessus, Balibar de met à philosopher sur le sujet et je le laisse. Il est plus compétent que moi à ce sujet.
40 L’unité de la pratiqueDepuis la philosophie grecque […], la praxis était l’action « libre », dans laquelle l’homme ne réalise et ne transforme rien d’autre que lui-même, en cherchant à atteindre sa propre perfection. Quant à la poièsis (du verbe poiein : faire, fabriquer), que les Grecs considéraient comme fondamentalement servile, c’était l’action « nécessaire », soumise à toutes les contraintes du rapport avec la nature, avec les conditions matérielles. […]
Voilà donc le fond du matérialisme de Marx dans L’Idéologie allemande […] : non pas une simple inversion de la hiérarchie, un « ouvriérisme théorique » si j’ose dire (comme le lui reprocheront Hannah Arendt et d’autres19), c’est-à-dire un primat accordé à la poièsis sur la praxis en raison de son rapport direct à la matière, mais l’identification des deux, la thèse révolutionnaire selon laquelle la praxis passe continuellement dans la poièsis et réciproquement.
Nous pouvons alors nous retourner vers la genèse ou constitution marxienne de la conscience. C’est bien d’un mécanisme d’illusion qu’il s’agit : Marx reprend à son compte un système de métaphores d’ascendance lointainement platonicienne (le « renversement du réel » dans la caverne ou dans la chambre optique, camera obscura). Mais il le fait de façon à échapper, dans le champ politique, à deux idées insistantes : celle de l’ignorance des masses, ou de la faiblesse inscrites dans la nature humaine (qui lui rendrait la vérité inaccessible), et celle de l’inculcation (qui traduirait une manipulation délibérée, donc une « toute-puissance » des puissants), l’une et l’autre abondamment pratiquées par la philosophie des Lumières à propos des idées religieuses et de leur fonction de légitimation des régimes despotiques.
Cette conception d’inculcation, des Lumières, de la religion comme légitimation, comme manipulation, est tellement commune, prégnante, que la plupart des lecteurs croient, bien à tort, que c’est ce que Marx veut dire avec son expression « opium du peuple ».