Dominique Meeùs
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Avertissement → 9
C’est un bouquin reconstitué après sa mort comme le montre la table des matières et comme l’Avertissement s’en explique.
Pour le reste, il est important de signaler que Marx n’a jamais employé le terme de « matérialisme dialectique », ce « logarithme jaune » comme il aimait appeler les absurdités théoriques3.
Louis Althusser, Sur la philosophie, 1994:32 Ce fut Engels qui, dans une circonstance déterminée, baptisa le matérialisme marxiste du nom de matérialisme dialectique. Marx regretta de ne pas avoir écrit une vingtaine de pages sur la dialectique. Tout ce que l’on connaît de lui sur ce sujet (en plus du jeu dialectique des concepts de la théorie de la valeur-travail) est contenu dans cette belle phrase : « La dialectique, qui le plus souvent a servi les pouvoirs en place, est aussi critique et révolutionnaire4. » Quand on énonce ses « lois », la dialectique est conservatrice […]. Mais quand elle est critique et révolutionnaire, la dialectique est précieuse. Dans ce cas, il n’est pas possible de parler de « lois » de la dialectique, de la même manière qu’il n’est pas possible de parler de « lois » de l’histoire. Les deux expressions, sont également absurdes. Une véritable conception matérialiste de l’histoire implique d’abandonner l’idée que l’histoire est régie et dominée par des lois qu’il suffit de connaître et de respecter pour triompher de l’anti-histoire.
J’en suis en effet venu à penser qu’il est très difficile de parler d’une philosophie marxiste, de même qu’il serait difficile de parler d’une philosophie mathématique ou physique, si nous considérons que l’essentiel de la découverte de Marx est de caractère scientifique : avoir mis en évidence le mode de fonctionnement du régime capitaliste.
Pour cela Marx s’est appuyé sur une philosophie — celle de Hegel — dont nous pouvons considérer qu’elle ne fut pas celle qui correspondait le mieux à son objectif… ni celle qui permettait de penser plus loin. Mais de toute façon, on ne peut pas extrapoler de ses découvertes scientifiques à sa philosophie. Nous avons pensé, quant à nous, qu’en réalité il ne professait pas la philosophie présente dans sa recherche. C’est ce que nous avons essayé de faire quand nous avons tenté de donner à Marx une philosophie qui permette sa compréhension : celle du Capital, celle de sa pensée économique, politique et historique.
Sur ce point, je crois que nous avons, en quelque sorte, manqué la cible, dans la mesure où nous n’avons pas donné à Marx la philosophie qui convenait le mieux à son œuvre. Nous lui avons donné une philosophie dominée par l’« air du temps », d’inspiration bachelardienne et structuraliste, dont, même si elle rend compte d’une série d’aspects de la pensée de Marx, je ne crois pas qu’elle puisse être appelée philosophie marxiste.
Il relativise la fameuse coupure épistémologique qu’il avait affirmée entre le jeune Marx jusque 1844 et un Marx plus scientifique à partir de 1845. (Il est étonnant que dans ce livre on dise « rupture ».) À la question (p. 36) de savoir si cette coupure était totale : « Non, elle ne le fut pas, elle fut seulement tendancielle. » (P. 37.)
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Nous pouvons dire qu’historiquement la philosophie est née de la religion, dont elle a hérité des questions remarquables, qui se convertiront ensuite en grands thèmes philosophiques, encore qu’avec des approches et des réponses différentes : celles par exemple de l’origine, de la fin ou du destin de l’homme, de l’histoire et du monde.
Néanmoins, je soutiens que la philosophie se constitue comme telle, en un sens rigoureux, quand se constitue la première science : les mathématiques. Ce n’est pas par hasard, puisque cette constitution marque précisément le passage de l’état empirique à l’état théorique. À partir de ce moment, on a commencé à raisonner d’une autre manière et sur des objets différents : les objets abstraits.
— Considérez-vous que la philosophie n’aurait pas pu se constituer sans l’existence préalable d’une science ?
Je ne le crois pas, pour la raison suivante : la philosophie a tiré de la science quelque chose d’inestimable : le modèle de l’abstraction rationnelle, qui lui est indispensable.
De fait, la philosophie naît au moment où l’on abandonne les formes de raisonnement mythologique et religieux, de l’exhortation morale et de l’éloquence politique ou poétique pour adopter les formes du raisonnement théorique, constitutif de la science. En somme, la philosophie ne peut apparaître sans qu’existe au préalable le discours rationnel pur, dont le modèle est dans les sciences.
Il a là un glissement abusif d’une chose singulière, la mathématique, à une généralité, la science. Il est de fait que la mathématique et la philosophie sont assez contemporaines et Althusser pourrait bien avoir raison d’y voir un lien essentiel. Mais la science naît, pour ce qu’on sait, quinze siècles plus tard (avec ibn Al Haytham), ce qu’on ne peut plus dire contemporain. La philosophie n’hérite donc pas un discours rationnel pur de la science en général, ou d’une science quelconque, mais précisément de la mathématique, discours rationnel pur, qui n’est pas vraiment une science au sens propre.
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On cite souvent comme de lui la définition de la philosophie comme « lutte de classe dans la théorie ». Il signale (p. 55) que ce faisant, on ampute la définition : pour lui, la philosophie est « en dernière instance » lutte de classe dans la théorie.
La philosophie marxiste présente […] un paradoxe proprement stupéfiant, et à la réflexion très énigmatique. On peut énoncer ce paradoxe en disant simplement : la philosophie marxiste existe, et pourtant elle n’a pas été produite comme philosophie.
[…] la philosophie se produit comme philosophie en se distinguant des sciences. Ici se joue une partie extrêmement serrée et décisive. Car il semble bien que le destin de la philosophie soit profondément lié à l’existence des sciences, puisqu’il faut au moins qu’une science existe pour que, comme en Grèce sous Platon la géométrie, la philosophie soit elle-même provoquée à l’existence. Et ce lien de destin semble d’autant plus profond que la philosophie ne paraît pas, pour pouvoir exister, se passer de l’existence préalable du discours rationnel d’une science pure (comme la géométrie sous Platon, la géométrie analytique et la physique sous Descartes, la physique newtonienne sous Kant, etc.). La preuve en est que la philosophie n’existe et ne peut se démarquer des mythes, de la religion, de l’exhortation morale ou politique, et de la sensualité esthétique, qu’à la condition absolue de pouvoir tenir elle-même un discours rationnel pur, dont elle ne peut trouver le modèle que dans le discours rigoureux des sciences existantes. Mais c’est là que les choses subissent un renversement surprenant : car la même philosophie, qui emprunte aux sciences pures existantes le modèle de son propre discours rationnel pur (qu’on pense à la tradition qui va de «que nul n’entre ici s’il n’est géomètre », à la philosophie exposée « more geometrico » de Spinoza, et à « la philosophie comme science rigoureuse» de Husserl), la même philosophie renverse complètement dans la philosophie son rapport aux sciences, elle se démarque rigoureusement des sciences réelles et de leurs objets, elle déclare qu’elle est science, mais pas au sens des sciences ordinaires qui ne savent pas de quoi elles parlent, elle déclare qu’elle est la science suprême, la science des sciences, la science des conditions a priori de toute science, la science de la Logique dialectique qui réduit toutes les sciences réelles à des déterminations de l’entendement, etc. En d’autres termes, la même philosophie qui emprunte aux sciences existantes le modèle d’un discours rationnel pur, qui est donc soumise comme à sa condition de possibilité aux sciences réelles, la même philosophie renverse dans la philosophie ce rapport de soumission en rapport de domination. La philosophie se met, dans la philosophie, au-dessus des sciences, c’est-à-dire au pouvoir sur les sciences.
Professeur de philosophie d’origine argentine, et militant communiste, Mauricio Malamud, persécuté et emprisonné dix-huit mois par le régime militaire argentin en 1975, dut s’exiler ensuite au Mexique où il enseigna au département de philosophie de l’université de Michoacana de San Nicolas de Hidalgo. Après une longue dépression, il retourna en Argentine en 1987 et mourut au Mexique en septembre 1989. Ami de Louis Althusser, il fut un des plus enthousiastes introducteurs de son œuvre en Argentine. À l’exception de quelques articles, il n’a pas laissé d’œuvre écrite. (Note de Fernanda Navarro.)
Fernanda Navarro est professeur de philosophie à l’université Michoacana de San Nicolas de Hidalgo (Mexique). Elle a publié une anthologie de textes de Bertrand Russell, après avoir travaillé avec lui, à Londres, au tribunal portant son nom pour condamner les crimes de guerre commis au Vietnam. Elle est également l’auteur d’un essai sur Valéry et l’identité et de nombreux articles de journaux. Elle vient d’achever un essai sur l’intersubjectivité, à paraître prochainement.